En août 1941, Artur London, membre du groupe tchécoslovaque, et co-responsable national de la M.O.I., est chargé d’organiser le Travail allemand, le TA, une forme d’action particulièrement délicate.
La structure, créée par le Parti communiste neuf mois plus tôt, vise trois grands objectifs anti-hitlériens :
— le renseignement en infiltrant l’armée allemande (la Wehrmacht),
— la désertion des soldats allemands,
— la démoralisation des troupes d’occupation.
Des réfugiés antinazis allemands et des germanophones résistants participent au TA.
De jeunes femmes juives y jouent un rôle important.
Le TA poursuit son activité jusqu’à l’automne 1943, date à laquelle le Parti communiste allemand, réactivé, en reprend la direction.
Parallèlement, l’Orchestre rouge, réseau antinazi de renseignement militaire, lié à l’URSS, composé essentiellement de Juifs, femmes et hommes, agit en Europe. Le groupe est démantelé par la Gestapo en 1942.
Dès le mois de septembre 1941, la direction de la section juive clandestine de la M.O.I. s’engage dans une forme de combat inédite. Le premier plan d’action de sabotage des biens destinés aux Allemands est élaboré par les gantiers, les tricoteurs, les menuisiers et les fourreurs juifs massivement syndiqués.
À Paris, ce même mois de septembre 1941 (et jusqu’en juin 1942), l’occupant lance une exposition violemment antisémite intitulée « Le Juif et la France ». L’événement est patronné par l’Institut d’études des questions juives et soutenu par les services nazis de propagande ; son but consiste à charger les Juifs de la responsabilité des malheurs passés, présents de la France.
La persécution antisémite ne cesse de s’amplifier. La section juive clandestine de la M.O.I. est particulièrement visée.
Après l’attentat commis par Pierre Georges, Vichy présente aux Allemands son projet de loi d’exception qui prévoit d’instituer une juridiction spéciale et la peine de mort pour les activités communistes.
Des militants juifs sont guillotinés ou fusillés pour avoir vendu Unzer Wort, distribué des tracts antinazis ou simplement « propagé des idées communistes ». Les nazis ripostent très vite après l’exécution de deux officiers allemands à Nantes et à Bordeaux par des résistants. Entre le 22 et le 24 octobre 1941, 48 otages sont fusillés à Châteaubriant, à Nantes et au Mont-Valérien près de Paris, et 50 près de Bordeaux.
C’est le début de la politique d’exécution d’otages, ciblant principalement communistes et juifs. L’idéologie nazie, relayée par Vichy, martèle le refrain du judéo-bolchevisme, qui allie antisémitisme et anticommunisme.
Depuis Londres, le général de Gaulle déclare que les attaques contre les Allemands sont justifiées mais prématurées. Cette attitude, qualifiée d’attentiste par les communistes, dont ceux de la M.O.I., est approuvée par certains groupes de la Résistance intérieure d’obédiences diverses.
Mais tous les résistants, communistes ou non, organisés en formations clandestines, ont un but commun : libérer la France du nazisme.
Artur London
dit Gérard Elberfeld
(1915-1986)
Artur London naît à Ostrava (Tchécoslovaquie), le 1er février 1915. Son père, un artisan juif, est l’un des fondateurs du Parti communiste à Ostrava. N’ayant pas les moyens financiers de poursuivre des études, Artur devient vendeur dans le textile. À 14 ans, il adhère aux Jeunesses communistes dont il devient le secrétaire régional et connaît ses premiers séjours en prison pour lutte antimilitariste et participation à des grèves illégales. En janvier 1934, le Parti l’envoie à Moscou où il représente la Jeunesse communiste tchécoslovaque à l’Internationale communiste des jeunes. C’est à cette occasion qu’il rencontre Lise Ricol qu’il épouse en 1935.
Pendant la guerre civile espagnole, malgré sa tuberculose, London rejoint, en tant que cadre, les Brigades internationales en mars 1937. Grâce à l’aide du PCF, Il réussit à éviter les camps français où sont internés les réfugiés d’Espagne, et retourne en région parisienne où il s’installe avec Lise et leur fille.
Il occupe des responsabilités dans le Comité d’Aide aux républicains espagnols et aux anciens des Brigades internationales. À la M.O.I., il est chargé du suivi des militants des pays d’Europe de l’Est rescapés d’Espagne ou évadés des camps du sud de la France.
Dès le début de l’Occupation, London s’engage dans la Résistance. Il milite en même temps à la délégation du Parti communiste tchécoslovaque et à la M.O.I. dont il devient en août 1940, avec Louis Gronowski et Jacques Kaminski, l’un des dirigeants sous le pseudonyme de Gérard.
En octobre 1941, à la demande Jacques Duclos, il met sur pied le Travail allemand (TA) spécialisé dans la propagande en direction des soldats allemands et le recueil de renseignements pour la Résistance. Le TA publie ses propres journaux en allemand.
London est arrêté le 12 août 1942 par la Brigade spéciale antiterroriste de Paris, et interrogé avec brutalité. Il est condamné, le 16 juillet 1943, à dix ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour, pour activité communiste et possession de faux papiers.
Livré aux Allemands, il est déporté le 28 février 1944 à Sarrebruck puis transféré à Mauthausen. Atteint d’une tuberculose récurrente, il est admis à l’hôpital du camp. Il devient l’un des principaux responsables du comité de Résistance de Mauthausen.
London survit. Il regagne la Tchécoslovaquie et occupe le poste de vice-ministre des Affaires étrangères en 1949. Arrêté en 1951 et torturé, Il est accusé, avec d’anciens combattants des Brigades internationales en Espagne, d’être un opposant politique. Condamné par le régime en place lors des « purges » de 1952 puis réhabilité, il s’installe en France en 1963 et meurt à Paris le 7 novembre 1986.
Références
— Le Maitron, par Marc Giovaninetti.
— Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, : Juifs révolutionnaires : Éditions Messidor/Éditions sociales
— Photo : Le Maitron (DR)
TRAVAIL ALLEMAND (TA)
Ils sont nombreux à s’être réfugiés en France car depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, des Allemands (artistes, scientifiques, opposants politiques, Juifs…) ont quitté leur pays. Après l’occupation de la France par l’Allemagne en 1940, ces émigrés sont très menacés. Beaucoup d’entre eux vont entrer dans la clandestinité et s’engager dans la Résistance.
Dès avril 1941, Artur London, membre du triangle de direction de la M.O.I., est chargé de mettre en place le TA avec Otto Niebergall (membre du Parti communiste d’Allemagne, le KPD) et Leo Langer, membre du Parti communiste autrichien. Après son arrestation en 1942, Artur London est remplacé par Otto Niebergall puis par Leo Langer et Franz Marek.
Les militants du TA fabriquent des documents de propagande, tracts, journaux, papillons et y dénoncent l’idéologie nazie et l’absurdité de la guerre. Ces documents sont rédigés en allemand et déposés dans les lieux fréquentés par les soldats allemands.
La deuxième tâche du TA est menée essentiellement par des jeunes filles juives qui tentent d’entrer en contact avec des militaires allemands et de les amener à prendre conscience de l’horreur de la guerre. Elles les incitent à développer une propagande anti hitlérienne dans les casernes et à fournir des renseignements. C’est aussi en se faisant engager comme interprètes qu’elles infiltrent les services nazis.
S’il est difficile de faire le bilan précis de ce « travail, » il est évident qu’il a permis de recueillir des informations précieuses, parfois même des armes.
Le TA, forme de Résistance particulièrement dangereuse qui a coûté la vie à de nombreux militantes et militants, témoigne du combat contre le nazisme.
Références
— Collin Claude, 2014, Le « Travail allemand », une organisation de Résistance au sein de la Wehrmach, Édition les Indes Savantes.
— Peschanski Denis, 2006. « Travail Allemand » Dictionnaire historique de la Résistance. Résistance intérieure et France Libre, ouvrage collectif, Éd. Robert Laffont.
ORCHESTRE ROUGE
Le secteur berlinois du réseau d’espionnage Orchestre rouge, organisé dans les années 1930, rassemble des pacifistes, des communistes et des artistes allemands opposés à Hitler et très actifs dans le combat antinazi.
En France et en Belgique, le réseau d’espionnage est animé par Léopold Trepper et Anatoli Gourevitch, à l’initiative du service de renseignements de l’Armée rouge. Le siège du réseau est fixé à Bruxelles. Il a pour paravents diverses sociétés commerciales implantées en Europe. Pendant la guerre, Léopold Trepper recrute des espions dans différents mouvements de Résistance. Tous les membres de l’Orchestre rouge, communistes ou sympathisants, souvent Juifs, sont des militants antinazis convaincus. Pendant la guerre, le réseau franco-belge recueille des informations importantes sur les mouvements de troupes allemands.
L’émetteur radio du réseau est localisé par le contre-espionnage allemand qui décode, le 26 août 1942, un message soviétique contenant, en particulier, des noms et des adresses. 200 résistants sont (ou seront) arrêtés jusqu’en juin 1943. Les nazis condamnent à la pendaison une soixantaine de membres du réseau, femmes et hommes.
Léopold Trepper, qui a échappé aux arrestations, se réfugie à Paris et y est appréhendé en novembre 1942. Il devient alors agent double et est supposé servir les Allemands. Il profite d’un transfert en voiture pour fuir et il informe les Soviétiques des projets des services secrets nazis.
Trepper gagne le maquis, en France jusqu’à la Libération et rejoint Moscou en janvier 1945 ; il est alors emprisonné par Staline et n’est réhabilité qu’en 1954.
Léopold Trepper se présente comme un sauveur bien que son rôle réel dans le réseau soit controversé. Il est accusé, notamment, par certains historiens, d’avoir « donné » des membres de l’Orchestre rouge aux autorités nazies.
Références
— Trepper Léopold, 1975, Le grand jeu : mémoires du chef de l’Orchestre rouge, Paris, Albin Michel.
— Perrault Gilles, 1989, L’Orchestre rouge, Fayard.
— Bourgeois Guillaume, 2015, La véritable histoire de l’Orchestre rouge. Nouveau Monde
GESTAPO
Le 17 juin 1936, Himmler est nommé chef de la SS (Schutzstaffel). Le 27 septembre 1939, l’ensemble des services de police (Gestapo, SD, Kripo, SS) est regroupé dans l’Office central de la sécurité du Reich, RSHA), placé sous la direction de Heydrich. Tous les officiers supérieurs intègrent la SS, principale organisation du régime nazi, totalement dévouée à Hitler. Le 31 juillet 1941, Heydrich lance l’opération Reinhard pour planifier l’extermination de deux millions de Juifs polonais.
À Paris, la Gestapo, dont le siège se situe rue des Saussaies, est d’abord dirigée par Kurt Lischka. Ses 3500 policiers bénéficient de la collaboration de 6000 agents français et des délations de 24 000 mouchards. En avril 1942, dans les territoires occupés, les pouvoirs de police passent des militaires au général de police SS, Carl Oberg. La torture est généralisée et pratiquée, entre autres exemples, par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie, tortionnaire de Jean Moulin.
De nombreux résistants sont torturés par les gestapistes.
Dirigée par Lafont et Bonny, l’une des officines de la Gestapo française, installée rue Lauriston dans le 16ème arrondissement de Paris, est responsable de nombreuses exactions. Ce groupe rassemble des truands et d’anciens policiers véreux. Leurs liens avec l’occupant leur permettent de nombreux trafics, notamment en pillant les biens juifs.
Références
— Delarue Jacques, 1996, Histoire de la Gestapo, Fayard,.
— Höne Heinz, 1972, L’ordre noir, Histoire de la SS, Tournai, Casterman.
SABOTAGE DE LA PRODUCTION DESTINÉE AUX ALLEMANDS
À l’extérieur, l’Allemagne nazie est en guerre contre l’URSS depuis la rupture du pacte de non-agression en juin 1941.
Dès le mois de septembre 1941, les militants syndicalistes élaborent un premier plan d’action visant les biens destinés aux troupes allemandes.
Les jeunes Juifs communistes s’emploient à convaincre les travailleurs juifs de l’importance du sabotage.
Les dangers de ces opérations sont évidents mais l’action s’étend vite à tous les secteurs d’activité.
Les tricoteurs, par exemple, fabriquent des manches trop courtes, des ouvertures impraticables.
Les ouvriers gantiers produisent des doigts de gant rétrécis, des pouces du mauvais côté…
En décembre 1941, ils déclenchent une grève générale qui dure quatre semaines : l’objectif réel de la grève cible les Allemands qui perdent 160 000 paires de gants.
Des actions sur les machines sont menées dans les grandes entreprises. Des pièces essentielles des moteurs sont subtilisées ou détériorées, les installations électriques sont détruites.
En cet hiver 1941-1942, le sabotage des ateliers de fourrure est vital. Les vêtements chauds à destination des soldats allemands doivent être acheminés vers le front où sévit un froid glacial. Les ouvriers fourreurs juifs se voient remettre des Ausweis, certificats spéciaux qui les protègent provisoirement des arrestations et de la déportation mais ils sabotent leur production.
De petites boîtes explosives sont très répandues, au sein des ateliers, dans toutes les corporations ; elles provoquent des incendies qui détruisent les marchandises.
En juin 1942, lors d’une de ces actions, deux jeunes résistants juifs sont arrêtés par les nazis et fusillés en juillet. D’autres combattants sont emprisonnés.
L’engagement ne faiblit pas, de nombreux jeunes travailleurs juifs immigrés issus des ateliers ou des entreprises rejoignent les rangs de la section juive la M.O.I. dans sa lutte civile ou armée.
Références
— Recueil commémoratif consacré aux militants immigrés juifs de la CGT tombés dans la lutte contre le fascisme. Combattants de la liberté, 1948, Paris, Éd. de la Commission Intersyndicale Juive auprès de la CGT
— Les Juifs ont résisté en France (1940-1945), 2009, témoignage de Robert Endewelt. Éd. de l’AACCE.
INSTITUT D'ÉTUDE DES QUESTIONS JUIVES (IEQJ)
Des Français, soutiens du gouvernement collaborationniste de Vichy, y travaillent…
L’IEQJ diffuse une propagande antijuive virulente, notamment à travers plusieurs publications, Le Cahier jaune, Revivre « Le grand magazine illustré de la race » ou La Question juive en France et dans le monde.
En outre, l’IEQJ organise une exposition antisémite d’une extrême violence, Le Juif et la France, inaugurée à Paris en septembre 1941.
Le but de l’exposition, qui s’achève en juin 1942, consiste à caricaturer les Juifs et à les charger de la responsabilité des malheurs passés et présents de la France.
À la fin de 1942, l’IEQJ, conçu par les nazis, passe sous administration vichyste et se voit rattaché au Commissariat général aux questions juives ; il devient, en mars 1943, l’Institut d’études des questions juives et ethno-raciales (IEQJR) dirigé par Georges Montandon, théoricien de l’antisémitisme et propagandiste de la haine raciale.
Référence
Billig Joseph, 1974, L’Institut d’étude des questions juives, officine française des autorités nazies en France : inventaire commenté de la collection de documents provenant des archives de l’Institut conservés au Centre de Documentation Juive Contemporaine, Ed. Paris, C.D.J.C.
PROPAGANDE NAZIE
Outre les vecteurs traditionnels (journaux, tracts, affiches…), la propagande nazie recourt aux spectaculaires défilés nocturnes aux flambeaux, aux meetings monstres filmés et projetés dans les salles de cinéma.
Elle utilise aussi les autodafés : les nazis brûlent en place publique, par milliers, les ouvrages non conformes au national-socialisme et, en particulier, ceux des auteurs juifs.
En août 1936, les XIème Jeux Olympiques alimentent la propagande pour offrir au monde une apparence pacifique et tolérante du IIIème Reich. Les exploits sportifs des « Aryens » sont glorifiés dans le film Les Dieux du stade de la cinéaste Leni Riefenstahl.
Les médias audiovisuels sont également investis :
— en 1937, Goebbels contrôle toutes les radios. La propagande pénètre ainsi dans chaque foyer allemand.
— dès le 12 septembre 1933, Hitler créé un Département du Film au sein du Bureau de propagande. L’Allemagne devient le plus grand producteur cinématographique en Europe. Outre les films de Leni Riefenstahl (dans Le Triomphe de la volonté, Hitler est présenté comme un dieu), Goebbels exige, fin 1938, la réalisation de films antisémites comme le célèbre Juif Süss, visionné par plus de 20 millions de spectateurs. Des documentaires sont produits à usage de propagande extérieure, par exemple Theresienstadt, tourné à l’été 1944 dans le camp de concentration du même nom pour convaincre la Croix-Rouge que les Juifs y sont bien traités.
En France occupée, les nazis diffusent leur propagande et contrôlent, sans exception, tous les moyens de diffusion. L’exposition violemment antisémite « Le Juif et la France » du 5 septembre 1941 à l’été 1942, est financée par l’Institut d’étude des questions juives (IEQJ) et atteint un somment de la propagande nazie. La section juive de la M.O.I., s’exprime, dans ses nombreux journaux et tracts clandestins, contre cette violente propagande.
Référence
Herf Jeffrey, 2011, L’Ennemi juif : la propagande nazie, 1939-1945, Paris, Éditions Calmann-Lévy, coll. « Mémorial de la Shoah : histoire »
TRACTS -"PAPILLONS"
Les jeunes Juifs communistes sont nombreux à lancer des tracts à la sortie des cinémas, à l’intérieur des salles depuis les balcons, sur des marchés, aux entrées et sorties d’usines, depuis le métro aérien à Paris, dans les tramways de Lyon ou Villeurbanne et dans d’autres régions.
Lors d’une action à Lyon, des tracts en allemand sont projetés par-dessus les murs de la caserne de la Part-Dieu pour démoraliser l’ennemi.
Les passants qui ramassent les tracts, dans la rue ou ailleurs, les cachent rapidement.
Il est extrêmement dangereux de les transporter et nombre de diffuseurs sont arrêtés et déportés pour faits de propagande anti-hitlérienne.
Référence
Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, Juifs révolutionnaires, Messidor/Éditions sociales
LE MONT-VALÉRIEN
La totalité des fusillés est de sexe masculin. Les Allemands réservent la guillotine, en Allemagne, aux résistantes. 23 membres des FTP-M.O.I. de l’Affiche rouge sont exécutés au Mont-Valérien le 21 février 1944. Olga Bancic est guillotinée à Stuttgart.
Les nazis fusillent, avant tout, les communistes qu’ils considèrent comme les opposants les plus dangereux, soit presque 70 % des exécutés. Le choix des otages est politique, ils représentent 60 % des fusillés et 90 % d’entre eux sont, selon la terminologie nazie, des judéo-bolchéviques (opposants à la fois juifs et communistes). Il s’agit d’éliminer, en priorité, les adversaires les plus déterminés au fascisme.
17 % des exécutés sont Juifs, immigrés pour la plupart alors que les Juifs ne représentent que 0,8 % de la population. Entre autres victimes, les artisans de la presse juive clandestine communiste comptent parmi les fusillés : Israël (Moshe) Bursztyn, l’ancien gérant de La Naïe Presse est l’un des 95 otages du 15 décembre 1941, Rudolf Zeiler, l’imprimeur de Unzer Wort (Notre Parole) y est fusillé le 19 décembre. L’année suivante, les rédacteurs Mounié Nadler et Joseph Bursztyn sont fusillés à leur tour.
Un Bosquet de la Liberté honore, à la fois, la Révolution Française qui a octroyé aux Juifs de France l’égalité des Droits civiques et la mémoire des résistants et otages juifs fusillés par les nazis.
Les Français d’origine représentent 79 % des fusillés. Les étrangers (29 nationalités) sont bien plus nombreux en pourcentage que leur représentation dans la population totale de la France. Toutes les tranches d’âge sont représentées mais les moins de 40 ans constituent 69 % de la population concernée.
Les fusillades massives visent à museler, par la mise en place d’une politique de terreur, toute opposition aux mesures répressives nazies mais elles ne font que galvaniser la volonté de Résistance et dresser l’ensemble de la population française contre l’Occupant.
Références
— Fontaine Thomas, Peschanski Denis, 2018, La collaboration : Vichy, Paris, Berlin, 1940-1945. Ed. Tallandier/Archives Nationales/Ministère Défense.
— Klarsfeld Serge, Tsévery Léon, 2010, Les 1007 fusillés du Mont-Valérien parmi lesquels 174 Juifs. Association des fils et filles des déportés juifs de France.
JUDÉO-BOLCHÉVISME
Avant de gagner d’autres pays, dont la France, c’est d’abord en Russie que prospère le fantasme. En 1881, au lendemain de l’assassinat de l’empereur Alexandre II, les Juifs, dénoncés comme coupables du crime, sont victimes de pogroms ravageurs. En 1901, le texte Les Protocoles des Sages de Sion, faux rédigé par la police secrète du Tsar, décrit une machination associant des éléments antinomiques, capitalisme et révolution sociale, pour l’édification d’un « pouvoir juif mondial ». Sont amalgamés un supposé « complot juif » d’asservissement du monde et le marxisme, doctrine de justice sociale qualifiée de « juive ».
Après la révolution d’Octobre 1917, l’antisémitisme constitue un axe central de la propagande russe antirévolutionnaire : Lénine, Trotski et la plupart des dirigeants bolcheviks (futurs communistes) sont présentés comme les agents de la « conspiration juive internationale ».
Pour les uns, le Juif est l’homme lié à la Banque mondiale, pour d’autres, le Juif est l’inverse : un militant égalitaire. À abattre dans les deux cas.
Le mythe du judéo-bolchevisme anime la propagande nazie, avant et après 1933. Le 11 septembre 1935, Hitler impose en Allemagne les lois raciales antijuives de Nuremberg.
Dès 1940, dans la France collaborationniste occupée par les nazis, les Juifs sont officiellement persécutés. En 1941, l’exposition violemment antisémite Le Juif et la France, développe largement le thème du judéo-bolchevisme. À partir de mars 1942, une exposition itinérante d’affiches intitulée Le Bolchevisme contre l’Europe parcourt le pays. En février 1944, l’Affiche rouge placardée sur les murs, expose à tous l’obsession meurtrière judéo-communiste des nazis et des collaborateurs.
Références
— Taguieff Pierre-André, 2008, La Judéophobie des Modernes : des Lumières au Jihad, Paris, Ed. Odile Jacob.
— Winock Michel, 2004, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Ed. du Seuil, 2004.
ANTISÉMITISME
À l’époque contemporaine, l’antisémitisme revêt deux nouvelles formes. Avec le développement du capitalisme industriel et financier, les Juifs sont désormais dénoncés comme protagonistes de l’exploitation, bénéficiaires de la « dictature du profit », et visant à la domination du monde. Le fantasme affecte presque tous les courants politiques. À gauche, en évoquant les Rothschild, on dénonce le capitalisme. À droite, on fustige les Juifs artisans des révolutions. C’est aussi, au milieu du 19ème siècle et dans la première moitié du 20ème, l’émergence d’un antisémitisme « biologique » énonçant le « caractère dégénéré » de la « race juive ». Les deux formes se combinent pour culminer dans le nazisme, contempteur du « judéo-capitalisme », du « judéo-bolchévisme » et à l’origine de la Shoah.
En France, le krach de l’Union générale (1882) inaugure une longue période de récession économique. Cette banque s’affirme, face aux anciennes banques juives et protestantes, comme la banque des catholiques. Sa faillite ruine des milliers de petits épargnants qui, ignorant les pratiques financières douteuses d’Émile Bontoux son créateur, en rendront responsable la banque juive (Rothschild). C’est le début d’une vague antisémite. L’ouvrage de Drumont, La France juive (1886) et l’Affaire Dreyfus (1894-1906) constituent des moments forts de la diffusion des rumeurs complotistes (le « complot » des Juifs pour la domination mondiale). Le Protocole des Sages de Sion (1901), faux antisémite fabriqué par l’Okhrana (police secrète tsariste), trouve au 20ème siècle une large audience et continue, de nos jours, à alimenter les théories du complot.
Référence
Poliakov Léon, 1955, Histoire de l’antisémitisme, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire.
Charles de Gaulle
(1890-1970)
Charles de Gaulle, futur général de Gaulle, naît le 22 novembre 1890 à Lille.
Charles de Gaulle, formé à l’école militaire St Cyr, entame sa carrière d’officier pendant la Première Guerre mondiale. Il est blessé lors de la bataille de Douaumont et prisonnier de guerre entre mars 1916 et novembre 1918.
Après les hostilités, de Gaulle rédige plusieurs ouvrages militaires dont le plus polémique est consacré à la modernisation de l’armée.
En 1937, de Gaulle est colonel. Il s’illustre au cours de la bataille de France en mai 1940. Promu général le 1er juin. Il devient sous-secrétaire d’État à la guerre et à la Défense nationale, dans le cabinet de Paul Reynaud, du 6 au 16 juin 1940.
Le 16 juin, Reynaud démissionne et est remplacé par Pétain qui signe l’armistice avec l’Allemagne.
Le lendemain, 17 juin, de Gaulle refuse l’armistice et s’exile à Londres.
Le 18 juin, il lance à la radio anglaise BBC son Appel aux Français qui les exhorte à résister à l’occupant et à rejoindre le gouvernement de Résistance extérieure de la « France libre ».
Le Premier ministre britannique, Winston Churchill, reconnaît le général de Gaulle comme chef de la « France libre ».
De Gaulle crée des unités armées, les Forces françaises libres (FFL), est alors condamné à mort par contumace et déchu de la nationalité française par Pétain et son gouvernement collaborationniste replié à Vichy.
Le résistant de Gaulle, désormais apatride, fonde en 1943, le Comité français de la Libération Nationale (CFLN), qui deviendra le Gouvernement provisoire de la République française.
La même année, pour une plus grande efficacité du combat contre l’occupant, Jean Moulin, délégué du général de Gaulle en France, parvient, après de grandes difficultés, à unifier la Résistance intérieure : le Conseil National de la Résistance (CNR), créé le 27 mai 1943, rassemble les forces démocratiques du pays, des communistes à la droite républicaine. Son programme, officialisé le 15 mars 1944, présente des avancées sociales inspirées des valeurs communistes.
En 1944, de Gaulle, reconnu comme chef incontesté de la Résistance, devient le président du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) jusqu’en 1946.
L’action de de Gaulle, pendant la guerre, permet à la France de figurer aux côtés des alliés, vainqueurs du nazisme.
Mais, la guerre terminée, le général minore la politique collaborationniste du régime de Vichy. Le mythe d’une France résistante unie, antinazie, est développé par le GPRF qui s’approprie l’ensemble de l’épopée nationale combattante. L’action des résistants juifs immigrés de la M.O.I. est marginalisée, voire occultée et la réalité des camps de la mort ignorée.
Le général de Gaulle est président de la République française de 1959 à 1969. Il meurt en 1970.
Références
— Agulhon Maurice, 2000, De Gaulle : histoire, symbole, mythe, Paris, Plon.
— Crémieux-Brilhac Jean-Louis, 1996, La France libre : de l’appel du 18 juin à la Libération, Paris, Gallimard, coll. « La suite des temps ».
— Lacouture Jean, 1984, De Gaulle : Le Rebelle, 1890-1944, Vol. 1 Paris, Éditions du Seuil.
ATTITUDE ATTENTISTE DU GÉNÉRAL DE GAULLE
1) à maintenir dans la population l’opposition aux Allemands et au gouvernement collaborationniste de Vichy,
2) à informer Londres de la situation intérieure.
Si les attentats contre les troupes d’occupation nazies sont légitimes, selon le général de Gaulle, ils ne sont pas opportuns, compte tenu du rapport des forces et du coût humain qu’ils entraînent. Dans cette optique, les résistants de l’intérieur sont appelés à attendre le débarquement allié pour participer militairement à la Libération, en 1944.
Les communistes dans leur ensemble, et la section juive de la M.O.I. en particulier, refusent la politique de l’attente opportune. Ils s’engagent précocement dans la lutte armée à partir de 1941. Les Francs-Tireurs et partisans français, FTP, et les FTP-M.O.I. sont opérationnels dès 1942.
Leur lutte contre l’occupant sera continue jusqu’à la fin des hostilités.
Référence
Wieviorka Olivier, 2013, Histoire de la Résistance, Paris, Éd. Perrin
LA MAIN-D'OEUVRE IMMIGRÉE (M.O.I.)
Référence
Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel,1987, Juifs révolutionnaires, Messidor/Éditions sociales
RÉSISTANCE INTÉRIEURE
De jeunes communistes et, parmi eux, les jeunes Juifs de la M.O.I., s’insurgent contre le gouvernement de Vichy dès l’été 1940.
Fin 1940, des mouvements organisés ou des réseaux anti-collaborationnistes se mettent en place. Ils sont, principalement, animés par des gaullistes et des communistes.
L’action civile des résistants de l’intérieur est variée : fonctionnement d’imprimeries clandestines, diffusion de tracts, organisation de manifestations, fabrication de faux papiers, recherche de planques pour les combattants et les Juifs traqués, sauvetage des enfants …
Des agents de liaison, souvent de jeunes femmes à bicyclette, transportent des messages.
La Résistance intérieure civile publie également une presse clandestine, en français ou en yiddish, traquée par les nazis. Toutes ces actions représentent un réel danger pour les résistants.
Résistantes et résistants organisés, bien que très peu nombreux, s’appuient souvent sur un soutien de la population, implicite ou non.
Parallèlement à une Résistance intérieure civile, une Résistance intérieure armée se développe à partir de 1941.
Les actions sont multiples (attaques de trains de matériel ennemi, incendies d’entrepôts d’armes, grenadages de lieux réquisitionnés par l’armée allemande…).
En mai 1943, Jean Moulin, délégué du général de Gaulle en France, parvient à rassembler les différents mouvements de la Résistance intérieure et syndicats et partis, des communistes à la droite républicaine. Le Conseil National de la Résistance (CNR) est né. La Résistance est unifiée en deux structures. L’une, militaire, est constituée des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI). Forces gaullistes, FTPF et FTP-M.O.I. sont intégrés aux FFI.
L’autre structure, civile, rassemble les Comités Départementaux de la Libération (CDL) qui restaurent la légalité républicaine. Leur rôle, dans le pays, est considérable.
En mai 1944, sur proposition du Parti communiste français et à l’initiative du CNR, des Milices patriotiques sont créées dans les villes et les maquis. Les résistants sont prêts pour l’insurrection nationale et la Libération.
Références
— Courtois Stéphane, Peschanski Denis, Rayski Adam, 1994, Le sang de l’Étranger. Les immigrés de la M.O.I. dans la Résistance. Ed. Fayard.
— Gildea Robert, 2017, Comment sont-ils devenus résistants ? Une nouvelle histoire de la Résistance (1940-1945). Ed. Les Arènes.