À partir de 1942, des réseaux, tels que le réseau André, le réseau Garel, ou, plus tard en 1943, le réseau Marcel, s’emploient aussi à sauver des enfants juifs.
Le 16 février 1943, rue Lamarck à Paris, dans un foyer de l’Union générale des Israélites de France (UGIF), des dizaines d’enfants, sont exfiltrés pour les sauver de la déportation à brève échéance. L’opération exemplaire est menée à bien grâce à l’action coordonnée par Paul Vergara, pasteur de l’Oratoire du Louvre à Paris, Sophie Schwartz pour l’Union des Femmes Juives et Suzanne Spaak pour le MNCR.
Depuis Drancy, les malades juifs, adultes et enfants, sont transférés à l’hôpital Rothschild avant leur déportation. Des soignants organisent des filières d’évasion pour les enfants hospitalisés. En représailles, des membres du personnel de cet hôpital seront déportés par les nazis.
Les actions de sauvetage sont très minoritaires, certes, mais dans la France entière, des groupes, des personnes, souvent anonymes, s’emploient à protéger des vies.
L’appui de la population se révèle indispensable aux sauveteurs pour déjouer les arrestations et cacher les enfants à la campagne. Ceux qu’on a appelés plus tard les Justes sont les Français non-juifs qui, au péril de leur vie, ont caché et sauvé des adultes et des enfants juifs, qu’il s’agisse de villages entiers ou d’initiatives individuelles ou familiales dans diverses régions du pays.
D’une manière générale, le MNCR et la section juive de la M.O.I. visent un triple objectif : protéger et sauver les enfants juifs, informer le pays de la barbarie nazie et libérer la France de l’occupant.
RÉSEAU ANDRÉ (ou service André)
Au début de son action, Joseph Bass finance son organisation sur ses propres deniers. Le Joint, organisation juive américaine d’Entraide, prend ensuite le relais. Grâce à l’aide du Pasteur André Trocmé – reconnu « Juste parmi les nations » en 1971 – Joseph Bass met sur pied une filière d’évasion vers le village du Chambon-sur-Lignon. Cette filière rayonne ensuite sur Aix-en-Provence, Avignon, Orange, Nîmes, Nice et Cannes. Après les rafles du “Vieux port” à Marseille, le siège de l’organisation est transféré au cœur d’un faubourg ouvrier de Saint-Etienne, dans un café-restaurant que l’historien Léon Poliakov immortalisera sous le nom de “L’auberge des musiciens”.
Le “Service André” développe également une activité militaire. A partir de juin 1943, Monsieur André crée un maquis juif sur le plateau du Chambon-sur-Lignon avec l’aide de l’Armée juive, organisation de Résistance très active au Sud de la France. Ces maquisards attaquent, avec des résistants FFI, une colonne allemande dont ils obtiennent la reddition. Cette action permet la libération du Puy-en-Velay le 22 août 1944 et par la suite celle de toute la Haute-Loire.
Référence
Loinger Georges, 2010, Les Résistances juives pendant l’occupation. Ed. Albin Michel.
RÉSEAU GAREL
La dispersion des maisons de l’OSE est à l’ordre du jour pour les enfants qui n’y sont plus à l’abri. A la demande du Dr Joseph Weill, directeur médical de l’OSE, Georges Garel, inconnu des autorités parce qu’il n’a jamais été en relation avec les organisations juives avant le sauvetage de “la nuit de Vénissieux” (août 1942), conçoit et met en place, fin août, un réseau clandestin de sauvetage d’enfants.
Ce réseau est constitué de deux « circuits » dans la zone Sud divisée en quatre régions. Le « circuit », officiel, de la résistante Andrée Salomon, est l’interface avec la Direction légale de l’OSE devenue la Direction santé de l’Union générale des israélites de France (l’UGIF) fondée sur demande des nazis.
Le deuxième « circuit » est clandestin : avec l’aide d’assistantes sociales, les enfants quittent les maisons de l’OSE. Une nouvelle identité leur est donnée. Ils sont ensuite confiés au réseau Garel.
Des lettres de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, et de Mgr Théas, évêque de Montauban, ouvrent à Georges Garel les portes des institutions religieuses.
Le « circuit » d’Andrée Salomon maintient les liens avec les familles. Dans le « circuit » Garel, des assistantes sociales non juives, ayant une couverture professionnelle « irréprochable » pour les nazis, gardent le contact avec les enfants, assurent leur entretien matériel, leur sécurité et leur réconfort moral.
Plus de 1.500 enfants sont ainsi cachés.
Leur identité réelle ne peut être découverte. Des listes et des codes sont déposés à des endroits différents.
À partir d’avril 1943, l’OSE organise le départ de plus de 1.000 enfants en Suisse sous la responsabilité de Georges Loinger, aidé de Jean Duffaugt, maire d’Annemasse, qui trouve des passeurs sûrs. Les enfants convoyés en Suisse sont ceux qui refusent de vivre dans des familles non juives ou non religieuses, ou sont incapables d’assumer leur fausse identité. Ils sont pris en charge par l’Union-OSE installée à Genève.
En 1943, le réseau Marcel -ou réseau Abadi-, est conçu, dans la région de Nice, sur le modèle du réseau Garel.
Nombre de membres de l’OSE ont été assassinés ou déportés pour avoir participé à ces actions qui n’auraient pu réussir sans le concours d’associations protestantes et juives américaines, sans l’aide de la” 6ème” (Éclaireurs Israélites de France) du MJS (Mouvement des jeunes sionistes), du MNCR (Mouvement National contre le racisme) de l’UJRE (l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide), des Amitiés Chrétiennes, de l’Association protestante, la Cimade et de nombreux « Justes ».
Référence
Garel Georges (Ouvrage avec la participation de Katy Hazan) 2012, Le sauvetage des enfants juifs par l’OSE,. Ed. Le Manuscrit. Collection Témoignages de la Shoah.
RÉSEAU MARCEL (OU RÉSEAU ABADI)
Avec l’aide de la milice française, la gestapo y pourchasse alors les Juifs, comme en zone nord.
Deux jeunes Juifs, Moussa Abadi et Odette Rosenstock, sont parmi les réfugiés.
Moussa, passionné de théâtre, venu de Syrie pour étudier en France et Odette, médecin, proche des combattants républicains espagnols, unissent leurs efforts pour sauver les enfants juifs.
Monseigneur Paul Rémond, évêque de Nice, opposé à la France collaborationniste inféodée aux nazis, prend Moussa Abadi sous sa protection. Un réseau se met en place (recherche de caches pour les enfants, fabrication de faux papiers, financement). Mgr Rémond crée une nouvelle identité pour Moussa : « Monsieur Marcel, inspecteur des écoles » et lui réserve un bureau à l’évêché. L’évêque remplit de faux certificats de baptême, de fausses cartes d’alimentation, dissimule les fiches des enfants juifs dans les pages des ouvrages religieux…).
« Monsieur Marcel » dirige sa recherche vers les couvents catholiques, ouverts aux enfants juifs grâce à Paul Rémond.
Odette, de son côté, sous le nom de Sylvie Delattre, concentre son action sur la communauté protestante pour trouver des familles d’accueil. Les pasteurs Pierre Gagnier et Edmond Evrard sont particulièrement efficaces.
L’OSE, le MNCR, la section juive de la M.O. I, en liaison avec d’autres mouvements de Résistance, sont opérationnels depuis 1942 dans le sauvetage des enfants juifs. En 1943, Moussa Abadi conçoit son propre réseau à partir du modèle d’organisation mis en place par Georges Garel de l’OSE.
Par mesure de prudence, le lieu de résidence des enfants demeure secret, y compris pour les parents.
Moussa, Odette et tout le réseau sont en danger permanent. Odette est arrêtée en avril 1944 et déportée à Auschwitz puis à Bergen Belsen.
« Monsieur Marcel » continue seul l’animation du réseau,
Il soutient les résistants juifs communistes traqués par la Gestapo et il cache aussi leurs enfants.
Odette, méconnaissable, revient des camps de la mort en 1945.
527 enfants juifs sont sauvés par le réseau Marcel dans la région niçoise.
Références
— Coleman Fred, 2015, Le réseau Marcel, Éd. Acropole
— Site Les enfants et amis Abadi
UNION GÉNÉRALE DES ISRAÉLITES DE FRANCE (UGIF)
Cette création est condamnée, dès le départ, par la section juive clandestine de la M.O.I. car elle implique des liens dangereux avec le Commissariat général aux questions juives.
Les organisations, encore légales, liées à la section juive refusent d’adhérer à l’UGIF et entrent dans la clandestinité.
La direction de l’Union Générale des Israélites de France est composée de Juifs français, engagés, avant-guerre, dans le domaine caritatif. Dannecker y impose, en outre, deux Juifs viennois, « hommes de liaison et de contrôle personnel ».
L’UGIF a pour mission la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics. Elle exerce, notamment, une fonction d’assistance sociale : elle verse des allocations aux foyers privés de revenus, finance des cantines populaires et des hospices.
Après les rafles de l’été 1942, elle ouvre des centres d’accueil pour enfants juifs à Paris et en banlieue.
On peut reprocher aux dirigeants de l’UGIF d’avoir sous-estimé le rôle de Vichy et d’être restés aveugles face à la réalité de la Shoah.
On peut leur reprocher de n’avoir pas tenté de soustraire les Juifs étrangers au danger immédiat de la déportation et d’avoir entretenu les illusions des Juifs français.
On peut, enfin et surtout, leur reprocher de ne pas avoir évacué les enfants des centres, victimes de rafles massives en juillet 1944.
Cependant, à l’insu de la direction de l’UGIF, des activités de Résistance de certains des membres de l’organisme ont permis le sauvetage d’enfants, mis à l’abri dans des familles non-juives.
Le bilan de l’Union Générale des Israélites de France est très controversé. Si son rôle d’assistance a été effectif et si des opérations clandestines antinazies ont utilisé sa couverture légale, ses institutions ont souvent été de véritables souricières particulièrement vulnérables aux rafles.
La loi créant l’UGIF est abrogée à la Libération.
Références
— Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, Juifs révolutionnaires, Messidor /Éditions sociales.
— Wieviorka Annette, 1986, Ils étaient juifs, résistants, communistes. Éditions Denoël.
Paul Vergara
(1883-1965)
Paul Vergara, naît le 8 avril 1883 à Marseille. Il est pasteur à Pouzauges en 1910 puis à l’Oratoire du Louvre de 1933 à 1954.
Les 10 et 11 février 1943, une importante rafle vise les Juifs apatrides dans tous les arrondissements de la capitale et en banlieue. Elle cible d’abord les enfants rassemblés à l’Union générale des Israélites de France (l’UGIF), structure sous contrôle des nazis et du gouvernement de Vichy. Cette rafle est organisée par la police française pour, officiellement, donner des gages aux nazis et éviter la déportation des Juifs français.
En réaction, le 12 février, Suzanne Spaak, résistante protestante, une des responsables du Mouvement national contre le racisme (MNCR), créé par la section juive de la M.O. I, prend alors contact avec le pasteur Paul Vergara, connu pour ses prêches de soutien aux Juifs.
Une action spectaculaire de sauvetage des enfants, encore regroupés à l’UGIF, rue Lamarck et rue Guy Patin à Paris, est menée conjointement par le MNCR, l’Œuvre du Temple de l’Oratoire du Louvre et l’Union des Femmes juives (UFJ). Marcelle Guillemot, assistante sociale, est directrice du centre médico-social et patronage « La Clairière » qui dépend de l’Oratoire du Louvre.
Paul Vergara et M. Guillemot distribuent aux fidèles protestants, lors de l’office, une circulaire les invitant à se présenter à l’UGIF et à proposer d’emmener un enfant juif « en promenade » pendant une journée. En fait, les enfants, de 3 à 18 ans, sont conduits à « La Clairière ». Pour le voisinage, ils sont censés être de jeunes réfugiés orphelins, victimes des bombardements. De fausses identités sont établies.
Suzanne Spaak constitue une liste de familles désireuses d’accueillir un enfant.
À partir du 15 février 1943 et les jours suivants, tous les enfants extraits de l’UGIF, et d’autres enfants juifs du quartier d’origine étrangère, sont rassemblés à « La Clairière » avant d’être répartis dans les familles d’accueil. Le 16 février, la Gestapo découvre le subterfuge mais les 63 enfants juifs pris en charge sont déjà en sûreté. Suzanne Spaak est écrouée à la prison de Fresnes et fusillée en 1944. Marcelle Vergara, l’épouse du pasteur, est également internée à Fresnes mais elle échappe à la mort. Paul Vergara et Marcelle Guillemot ont pu s’enfuir, chacun vers un lieu différent. Traqué par la Gestapo, le pasteur Vergara se cache jusqu’à la Libération.
Paul Vergara est l’auteur de plusieurs textes de réflexion sur le christianisme.
Suzanne Spaak (à titre posthume), le pasteur Vergara, sa femme Marcelle puis Marcelle Guillemot ont été reconnus en tant que “Justes parmi les nations ».
Références :
— Thoraval Anne, 2007, Lieux de Résistance à Paris, Ed. Parigramme
— Photo : coll. particulière (DR)
Sophie Schwartz
(1905-1999)
Sophie Schwartz (ou Schwarc) naît en Pologne, à Lodz, le 28 décembre 1905. Elle est marquée par une vague de pogroms à laquelle elle est confrontée. Elle adhère, à 14 ans, au Bund, mouvement socialiste juif, puis aux Jeunesses communistes clandestines en 1922.
Arrêtée en 1924, elle fuit Lodz pour les Pays-Bas puis pour la Belgique ; elle est ouvrière pour gagner sa vie. Elle adhère à la Kultur Ligue (Kultur Liga), organisation juive culturelle démocratique. Elle y rencontre Leizer Micnik, son futur mari. Militant communiste actif, il est expulsé de Belgique et s’exile en France avec Sophie.
À Paris, en 1930, ils poursuivent leur activité militante au Parti communiste et à la Kultur Ligue.
En 1935, Sophie Schwartz fonde, avec d’autres militantes de la Kultur Ligue, une organisation d’entraide, le « Mouvement des femmes juives contre le fascisme et la guerre ».
En septembre 1940, elle cofonde, avec d’anciens militants de la section juive de la M.O.I., l’organisation clandestine « Solidarité » qui va jouer un rôle majeur dans la Résistance en France. Le « Mouvement des femmes juives contre le fascisme et la guerre » devient alors « l’Union des femmes juives » (UFJ), partie prenante de « Solidarité ».
En outre, Sophie Schwartz est responsable du « groupe technique de « Solidarité » qui prend en charge l’impression de tracts et du journal communiste juif clandestin Unzer Vort. L’année suivante, elle intègre la direction de la section juive de la M.O.I. en zone occupée. Elle fonde une Commission de l’Enfance et est très engagée dans le sauvetage des enfants juifs, au nord comme au sud, notamment au sein du Mouvement national contre le racisme (MNCR).
Au printemps 1943, la résistance juive communiste des zones Nord et Sud se regroupe en un seul organisme, l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE), créée par plusieurs résistants, dont Sophie Schwartz.
Traquée par les Brigades spéciales, elle échappe aux arrestations et passe en zone Sud. Elle assume la direction politique d’un groupe de combat de l’UJRE. Elle accède au grade de lieutenant FTP-M.O. I et, dans l’immédiat après-guerre, elle fait partie des co-fondateurs de la Commission centrale de l’enfance (CCE) auprès de l’UJRE qui prend en charge les enfants juifs orphelins de la Shoah.
Elle en est la secrétaire générale jusqu’à la fin 1950 et décide de regagner la Pologne. En butte à l’antisémitisme des dirigeants polonais, elle rejoint la France en 1969. Elle y meurt le 17 janvier 1999 en région parisienne à Boulogne-Billancourt.
Référence
— Collectif AACCE, 2009, Les Juifs ont résisté en France (1940-1945). Ed. AACCE
— Photo : Mémorial de la Shoah, coll. Gruschow
Suzanne Spaak
(1905-1944)
Suzanne Augustine Lorge est née à Bruxelles en 1905 dans une famille protestante libérale et aisée.
En 1925, elle épouse l’écrivain Claude Spaak, frère de Paul-Henri Spaak, député et ministre, et du scénariste Charles Spaak.
Dans les années 30, en Belgique puis à Paris où elle s’installe en 1936, elle s’investit dans le secours aux réfugiés espagnols républicains et aux immigrés d’Europe de l’Est qui fuient le nazisme. Elle a deux enfants.
Durant l’Occupation, elle poursuit son action humanitaire. À partir de 1942, au sein du Mouvement national contre le racisme, le MNCR, créé par la section juive de la M.O.I. pour sensibiliser les milieux chrétiens aux persécutions contre les Juifs, elle se consacre plus spécifiquement au sauvetage d’enfants juifs.
Sa position sociale lui permet de solliciter de nombreuses aides et de trouver des appuis, notamment parmi les magistrats, les écrivains et dans les milieux ecclésiastiques. Elle obtient ainsi des adresses pour cacher des enfants et leur fabriquer de faux papiers et recueille des subsides importants (dont ceux de l’écrivaine Colette, sa voisine) pour les vêtir et les nourrir.
L’action la plus spectaculaire à laquelle elle participe est l’exfiltration, en une journée, d’une soixantaine d’enfants d’un foyer de l’ Union générale des Israélites de France, l’UGIF, menacés de déportation. Grâce au pasteur Paul Vergara, du Temple de l’Oratoire, à la secrétaire du pasteur, Marcelle Guillemot, à nombre de paroissiens du temple et à l’Union des Femmes Juives, l’UFJ, (issue de la section juive de la M.O.I.), les enfants sont conduits en lieu sûr à la campagne dans des familles d’accueil.
L’action de Suzanne Spaak a permis de sauver plus de 500 enfants voués à une mort atroce. En danger à Paris, S. Spaak se réfugie à Bruxelles avec ses enfants. Arrêtée par la Gestapo, elle est transférée à la prison de Fresnes, soumise à des tortures physiques et morales, dont un chantage menaçant la vie de ses proches. Elle est exécutée le 12 août 1944, deux semaines avant la Libération de Paris.
En 1985, Suzanne Spaak est nommée “Juste parmi les Nations”.
Références
— Gensburger Sarah (collectif), 2012, C’étaient des enfants. Déportation et sauvetage des enfants juifs à Paris. Ed. Skira Flammarion.
— Nelson Anne : 2018, La vie héroïque de Suzanne Spaak. Ed. Robert Laffont.
— Photo : coll. Particulière (DR)
CAMP DE DRANCY
La situation sanitaire devient vite incontrôlable et les Allemands libèrent en novembre 1941 plus de 1 000 internés malades, adultes et enfants. Ils sont tous transférés à l’hôpital Rothschild. Une filière d’évasion, organisée par le personnel médical et avec l’aide d’un prêtre, permettra de sauver un certain nombre de ces enfants.
De décembre 1941 jusqu’en mars 1942, des otages juifs, principalement des résistants communistes d’origine immigrée, sont extraits du camp pour être fusillés au Mont-Valérien ou déportés.
Après la rafle du Vel’d’Hiv, le 16 juillet 1942, les couples sans enfants et les célibataires sont conduits directement à Drancy. Les familles, y compris les vieillards et les enfants, vont suivre.
La cité de la Muette devient la plaque tournante de la déportation des Juifs de France vers les camps de la mort.
En avril 1944, les 44 enfants juifs d’Izieu (Ain) regroupés dans une maison d’accueil, sont expédiés à Drancy par le nazi Klaus Barbie avant d’être assassinés à Auschwitz.
Au début de l’été suivant, devant la progression des forces alliées, les nazis accélèrent la déportation de milliers de Juifs acheminés vers le camp depuis la zone sud.
Le dernier convoi part de Drancy le 17 août 1944. Les déportés sont emmenés à pied à la gare de Bobigny par le nazi Aloïs Brunner, dernier chef du camp.
La quasi-totalité des Juifs de France déportés ont transité par Drancy sur ordre des nazis et de leurs collaborateurs français. Au total, environ 63 000 Juifs, répartis dans une soixantaine de convois, ont quitté la gare du Bourget-Drancy puis la gare de Bobigny, principalement à destination d’Auschwitz-Birkenau.
Le camp de Drancy, libéré le 20 août 1944 par la Résistance, reste le lieu emblématique de la persécution antisémite en France.
Références
— Rajsfus Maurice, 2012, Drancy, un camp de concentration très ordinaire 1941-1944. Ed. du Cherche-Midi
— Portes Jean-Christophe et Bénichou Rémi, 2015, Les Enfants juifs sauvés de l’hôpital Rothschild, Documentaire TV. Diffusion sur France 5.
HÔPITAL ROTHSCHILD
Le rappel brutal des malades à Drancy sur ordre de Dannecker, haut dignitaire nazi chargé de la « question juive », ou le fichage des bébés dès leur naissance provoquent le désarroi du personnel hospitalier. La persécution anti-juive s’accentue en 1942 et 1943. Des actions de Résistance se mettent rapidement en place pour conserver les malades, même guéris, dans le cadre hospitalier : diagnostics faussement alarmistes, traitements inutilement lourds ou opérations sans objet.
Paulette Sliwka (Sarcey), jeune militante communiste juive de la M.O.I. est appréhendée, frappée par la police de Vichy et hospitalisée à Rothschild. Elle échappe à Drancy… provisoirement : « […] J’ai des traces de coups mais je tiens debout. Les médecins juifs qui m’examinent, les docteurs Lobelsohn et Weismann, ont compris la situation et décident de m’opérer de l’appendicite par complaisance, seul moyen de me garder plus longtemps […] ».
Mais c’est dans le sauvetage des enfants juifs que le « réseau » de l’hôpital Rothschild se montre le plus efficace : les nouveau-nés signalés comme mort-nés et de faux morts sont évacués de l’hôpital dans des paniers de linge sale.
L’assistante sociale, Claire Heyman, qui dirige les opérations, l’interne en pédiatrie, Colette Brull-Ulmann (juive, elle ne peut exercer qu’à Rothschild) et l’infirmière Maria Edwards Errázuriz sont particulièrement actives.
Claire Heyman cache les enfants dans la morgue, lieu sans surveillance. Elle dispose de complicités à l’intérieur de l’hôpital et de relais à l’extérieur.
De nombreux enfants juifs, munis de faux papiers et de faux certificats de baptême, sont recueillis par l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) ou les Eclaireurs israélites de France (EIF) qui, avec le concours de prêtres, les répartissent dans différents couvents.
Mais les nazis renforcent leur surveillance, Rothschild devient, en quelque sorte, une prison.
Adultes et enfants malades sont déportés vers les centres de mise à mort.
Des membres du personnel (administratif et médical) de l’hôpital sont appréhendés et déportés.
Référence
Brull-Ulmann Colette, 2021, Les enfants du dernier salut. Livre de poche.
NAZISME
Le nazisme a pour but de créer une communauté nationale fondée sur la race épurée des Allemands (la race aryenne). Elle doit aussi être « améliorée » : par exemple, les opposants politiques et les individus qui manifestent des « comportements asociaux », tels les homosexuels, doivent être rééduqués dans des camps de concentration. Ceux qui sont biologiquement indésirables (handicapés, malades mentaux) doivent être expulsés de la communauté. Les “sous-hommes”, tels les Slaves, les Asiatiques, Arabes et Noirs peuvent être dominés. Les Tziganes, aryens supposés corrompus par des mélanges raciaux qui leur ont fait perdre leur aryanité, sont déportés et exterminés. On estime à 200.000 le nombre de Tziganes victimes de cette politique génocidaire.
Selon la doctrine nazie, les Juifs sont situés hors de la « sous-humanité » et constituent une menace permanente pour la pureté aryenne ; élément d’anéantissement de la communauté, la « souillure juive » doit être combattue, au regard d’Hitler et de ses adeptes, par tous les moyens jusqu’à la disparition de tous les Juifs.
Les mesures antijuives sont toujours présentées comme une réponse au « danger » venant des Juifs « agresseurs ». Pour détruire cette « race », les nazis mettent en œuvre la « solution finale de la question juive ».
Cette politique criminelle d’extermination des Juifs, systématique, programmée et à grande échelle, sur l’ensemble du continent européen, entraîne la mort de près de 6 millions d’êtres humains.
Au lendemain de la chute du régime nazi, ses principaux dirigeants sont jugés lors du procès de Nuremberg (novembre 1945-octobre 1946) et condamnés pour crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Référence
Benbassa Esther (collectif), 2010, Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations. Larousse À présent.
LES JUSTES
Les personnes qui ont « risqué leur vie pour sauver des Juifs en tout désintéressement » sont honorées par l’Etat d’Israël qui, depuis 1953, a officiellement décerné le titre de « Justes parmi les nations » à plus de 4000 personnes en France et 27000 en Europe.
Le terme « Juste » est emprunté à judaïsme, il désigne, en l’occurrence, toute personne non-juive qui incarne la justice face aux crimes antisémites nazis.
À Jérusalem, un secteur du site mémoriel Yad Vashem consacré à la Shoah, rend hommage aux « Justes ».
À Paris, le Mémorial de la Shoah et le Panthéon honorent les « Justes » français qui, s’ils sont minoritaires dans la population, ont néanmoins permis de réduire considérablement le nombre de Juifs de France exterminés.
Aux côtés des individus, des organisations non-juives (catholiques, protestantes, laïques) conçoivent des filières et protègent les Juifs et, en particulier les enfants. Elles opèrent souvent en coopération avec des organisations juives.
En groupes, en famille ou seuls, les « justes » n’hésitent pas à se mettre en danger.
Les Juifs, et principalement les enfants juifs, sont « cachés » dans la France entière. Les familles d’accueil sont recrutées par les organisations et les mouvements de Résistance au coeur de la population anti-collaborationniste. Les sauveteurs des Juifs offrent une grande variété de profils : paysans, cheminots, employés, enseignants, résistants ou pas. Des « passeurs » résistants permettent aux Juifs de gagner la zone dite « libre » avant 1942.
Au sud de la France, dans les départements à majorité protestante, la tradition de protection et d’accueil s’appuie sur la solidarité locale. Le Chambon- sur- Lignon (en Haute-Loire), par exemple, est déclaré « village de Justes ». L’action des pasteurs y a été déterminante comme dans d’autres localités.
Un réseau des « villes et villages des Justes de France » rassemble les collectivités locales de plusieurs régions de France qui ont sauvé des Juifs.
De nombreux « Justes » demeurent encore anonymes mais des personnes, des couples, des familles sont honorés chaque année. Ils reçoivent, à titre posthume, la distinction de « Justes parmi les nations ».
Référence
Cabanel Patrick, 2012, Histoire des Justes en France, Ed. Armand Colin