La Milice française, (créée en janvier 1943) bras armé du gouvernement de Vichy contre la Résistance et supplétif de la Gestapo, poursuit et intensifie la traque des Juifs et de tous les opposants au nazisme, sous la direction de son secrétaire général, Joseph Darnand.
En 1944, alors que la Libération n’est plus très éloignée, la Milice française se hâte d’assassiner. Tous les résistants sont visés, français ou étrangers.
L’année est marquée par une répression acharnée dirigée contre la Résistance. Joseph Epstein, dit colonel Gilles, responsable militaire des FTP d’Île-de-France, véritable initiateur de la technique de guérilla urbaine est l’une des nombreuses victimes du régime de Vichy. Après avoir été torturé, il est fusillé, le 11 avril 1944, par un peloton d’exécution au Mont-Valérien. 28 autres résistants subissent le même sort.
Suzanne Spaak, membre du MNCR, protestante, qui a sauvé de nombreux enfants juifs, est exécutée par la gestapo treize jours avant la libération de Paris.
MILICE FRANÇAISE
Le 8 août 1943, Joseph Darnand prête serment de fidélité personnelle à Hitler. Nombre de miliciens s’engagent dans la Waffen SS, organisation militaire nazie. En janvier 1944, la Milice est étendue au Nord de la France et compte 15 000 militants actifs. Elle coopère avec la police politique nazie, la Gestapo, et s’emploie à l’élimination physique des Juifs. Les miliciens assassinent partout en France. Ils s’attaquent aux maquisards (au plateau des Glières, notamment) ou jettent dans un puits plusieurs dizaines de Juifs réfugiés à St Amand -Montrond (Cher). Paul Touvier, chef de la Milice lyonnaise, est à l’origine de nombreux massacres. Il fait tuer des Juifs, individuellement ou par groupes. Il est le responsable, par exemple, de l’exécution de 7 otages juifs au cimetière de Rillieux (Ain). Il s’attaque aussi, entre autres cibles à l’emblématique Ligue des droits de l’Homme. Son président, Victor Basch, 80 ans, est assassiné avec sa femme.
La Milice supprime sauvagement des inconnus mais souhaite aussi atteindre des figures représentatives anti-nazies : Jean Zay, ministre progressiste et novateur du Front populaire ou Georges Mandel, homme politique conservateur -et résistant-sont assassinés en juin et juillet 1944.
Par une ordonnance du 9 août 1944, la Milice est dissoute par le gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Joseph Darnand, capturé en Italie, livré par les britanniques est condamné à mort et exécuté le 10 octobre 1945. En 1994, l’ancien chef de la milice lyonnaise, Paul Touvier, caché dans des institutions catholiques, est retrouvé, gracié puis condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour « crimes contre l’humanité ».
Références
— Azéma Jean-Pierre, 1990, « La milice », Vingtième Siècle : Revue d’histoire, no 28.
— Cointet Michel, 2013, La milice française, Paris, Ed. Fayard
RÉGIME DE VICHY, GOUVERNEMENT DE VICHY
Référence
Paxton Robert O., La France de Vichy 1940-1944,1973, nouvelle édition 1999, Éditions du Seuil.
GESTAPO
Le 17 juin 1936, Himmler est nommé chef de la SS (Schutzstaffel). Le 27 septembre 1939, l’ensemble des services de police (Gestapo, SD, Kripo, SS) est regroupé dans l’Office central de la sécurité du Reich, RSHA), placé sous la direction de Heydrich. Tous les officiers supérieurs intègrent la SS, principale organisation du régime nazi, totalement dévouée à Hitler. Le 31 juillet 1941, Heydrich lance l’opération Reinhard pour planifier l’extermination de deux millions de Juifs polonais.
À Paris, la Gestapo, dont le siège se situe rue des Saussaies, est d’abord dirigée par Kurt Lischka. Ses 3500 policiers bénéficient de la collaboration de 6000 agents français et des délations de 24 000 mouchards. En avril 1942, dans les territoires occupés, les pouvoirs de police passent des militaires au général de police SS, Carl Oberg. La torture est généralisée et pratiquée, entre autres exemples, par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie, tortionnaire de Jean Moulin.
De nombreux résistants sont torturés par les gestapistes.
Dirigée par Lafont et Bonny, l’une des officines de la Gestapo française, installée rue Lauriston dans le 16ème arrondissement de Paris, est responsable de nombreuses exactions. Ce groupe rassemble des truands et d’anciens policiers véreux. Leurs liens avec l’occupant leur permettent de nombreux trafics, notamment en pillant les biens juifs.
Références
— Delarue Jacques, 1996, Histoire de la Gestapo, Fayard,.
— Höne Heinz, 1972, L’ordre noir, Histoire de la SS, Tournai, Casterman.
Joseph Epstein
Dit colonel Gilles, Joseph André (ou Andrej),
André Duffau
(1911-1944)
Né en Pologne, à Zamość, le 16 octobre 1911, Joseph Epstein appartient à une famille aisée de culture yiddish. Dès son plus jeune âge, il participe, dans les rangs du Parti communiste de Pologne, à la lutte contre le gouvernement dictatorial de Józef Piłsudski. Il poursuit des études de Droit à l’université de Varsovie.
Il est arrêté lors d’une prise de parole devant une usine ; libéré sous caution, il quitte la Pologne pour la Tchécoslovaquie.
Il est aussitôt expulsé, gagne la France en 1931 et obtient sa licence de droit à Bordeaux.
En 1936, lorsqu’éclate la guerre d’Espagne, il est l’un des premiers volontaires. Il combat aux côtés des Républicains espagnols dans les Brigades internationales et est grièvement blessé sur le front d’Irun. Pendant sa guérison, il participe en France, à l’action de la compagnie maritime « France Navigation », chargée du transport d’armes pour l’Espagne républicaine.
Il participe à la bataille de l’Èbre, sous le pseudonyme de Joseph André, et est cité à l’ordre de l’Armée ; il devient capitaine. Après la chute de la République espagnole, en 1939, il revient en France et est interné au camp de Gurs. Il est libéré en juillet 1939.
Engagé dans la Légion étrangère, Joseph Epstein est fait prisonnier en mai 1940. Il est envoyé dans un stalag en Allemagne d’où il s’évade en décembre 1940 et rejoint la lutte clandestine en France auprès des Francs-tireurs et partisans (FTPF ou, plus simplement, FTP).
D’abord principal responsable, en 1942, des groupes de sabotage et de destruction (GSD) créés par les syndicats CGT au sein des entreprises contraintes de travailler pour l’Occupant, il devient responsable militaire des FTP de la région parisienne, en février 1943, sous le nom de Colonel Gilles. Aux groupes de trois résistants, de règle dans l’organisation clandestine, il a l’idée de substituer des unités de dix à quinze combattants en mesure de réaliser un certain nombre d’actions spectaculaires. Cette organisation permet d’assurer la protection des lanceurs de bombes ou de grenades qui interviennent les uns après les autres, en cascade. Epstein instaure ainsi une tactique de « guérilla urbaine » que mettent en œuvre les FTP et les FTP-M.O.I. Dynamitage de trains, de voies ferrées, destruction de pylônes électriques, de ponts, sabotage dans les usines, ces techniques de guérilla sont celles qu’il avait apprises lors de la guerre civile espagnole.
Dénoncé, Joseph Epstein est arrêté en gare d’Évry Petit-Bourg, le 16 novembre 1943, lors d’un rendez-vous avec Missak Manouchian, FTP-M.O.I.
Atrocement torturé par les inspecteurs des Brigades spéciales, il ne livre aucun nom.
Joseph Epstein est fusillé, sous le nom de Joseph André, au fort du Mont-Valérien avec 28 autres résistants, le 11 avril 1944.
Le jour de son exécution, il aide un camarade à s’évader du camion qui les conduit au peloton d’exécution.
En 2004, son nom est donné à une place du 20e arrondissement de Paris.
Références
— Convert Pascal, 2007, Joseph Epstein : Bon pour la légende. Ed. Séguier.
— Dictionnaire le Maitron en ligne. 2020. Jean Maitron-Claude Pennetier.
— Photo : Pascal Convert – documentaire France 2008 (DR)
GUÉRILLA URBAINE
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la « guérilla urbaine », caractérisée par le harcèlement de l’ennemi (nazi et vichyste), s’exerce en ville (notamment à Paris, Lyon, Toulouse, Marseille et Grenoble). Elle est le fait, très principalement, des communistes. Depuis l’invasion de l’URSS, en été 1941, l’objectif assigné par l’Internationale communiste (organisation qui représente les pays communistes alignés sur l’Union soviétique) est la démoralisation de l’ennemi par une pression incessante. Coups de main, attaques et opérations armées imprévisibles empêchent le départ de troupes allemandes sur le front russe.
En France, la guérilla urbaine montre la détermination de la Résistance communiste à répondre aux exécutions d’otages, aux arrestations arbitraires, aux traitements inhumains, xénophobes et antisémites, perpétrés par l’occupant et le régime pétainiste de collaboration. Elle vise, en particulier, tous les lieux où se regroupent des soldats allemands (hôtels, garages, restaurants, lieux de spectacle…).
La conception de la « guérilla urbaine »en France est le fait de Joseph Epstein (dit « Colonel Gilles »), Juif polonais, stratège, désigné par le Parti communiste français, en février 1943, pour diriger les FTP de la région parisienne. Les « groupes de 3 » sont alors la règle mais Epstein préconise des groupes de combat de 12 à 24 hommes, divisés en plusieurs sous-groupes qui se relaient. L’objectif est d’amplifier l’action et de limiter les pertes. Le nombre d’hommes impliqués dans ces actions est limité du fait des compétences requises et des risques encourus.
Les opérations de « guérilla urbaine » sont encadrées militairement par les FTPF et FTP-M.O.I. qui opèrent sous forme de « détachements ». Les combattants sont peu nombreux (65 à Paris, 80 à Toulouse, 55 à Marseille). Ce sont, majoritairement, des Juifs immigrés d’Europe de l’Est, souvent anciens brigadistes défenseurs de la République pendant la guerre civile en Espagne (1936-1938). En outre, dans leurs pays d’origine (Pologne, Hongrie, Roumanie…), déjà fortement politisés, ils ont acquis l’expérience de la clandestinité et de la lutte contre le fascisme. Ils n’hésitent pas à se mettre en danger.
La police française dévouée aux Allemands, et l’occupant nazi, préoccupé de sa sécurité, exercent une répression terrible (peines de mort, tortures et déportations) sur les combattants de la guérilla mais les résistants gagnent peu à peu la bataille de l’opinion.
Références :
— Courtois Stéphane, Peschanski Denis, Rayski Adam, 1989, Le Sang de l’étranger. Ed. Fayard
— Diamant David, 1971, Les Juifs dans la Résistance française, Ed. Le Pavillon, Roger Maria.
LE MONT-VALÉRIEN
La totalité des fusillés est de sexe masculin. Les Allemands réservent la guillotine, en Allemagne, aux résistantes. 23 membres des FTP-M.O.I. de l’Affiche rouge sont exécutés au Mont-Valérien le 21 février 1944. Olga Bancic est guillotinée à Stuttgart.
Les nazis fusillent, avant tout, les communistes qu’ils considèrent comme les opposants les plus dangereux, soit presque 70 % des exécutés. Le choix des otages est politique, ils représentent 60 % des fusillés et 90 % d’entre eux sont, selon la terminologie nazie, des judéo-bolchéviques (opposants à la fois juifs et communistes). Il s’agit d’éliminer, en priorité, les adversaires les plus déterminés au fascisme.
17 % des exécutés sont Juifs, immigrés pour la plupart alors que les Juifs ne représentent que 0,8 % de la population. Entre autres victimes, les artisans de la presse juive clandestine communiste comptent parmi les fusillés : Israël (Moshe) Bursztyn, l’ancien gérant de La Naïe Presse est l’un des 95 otages du 15 décembre 1941, Rudolf Zeiler, l’imprimeur de Unzer Wort (Notre Parole) y est fusillé le 19 décembre. L’année suivante, les rédacteurs Mounié Nadler et Joseph Bursztyn sont fusillés à leur tour.
Un Bosquet de la Liberté honore, à la fois, la Révolution Française qui a octroyé aux Juifs de France l’égalité des Droits civiques et la mémoire des résistants et otages juifs fusillés par les nazis.
Les Français d’origine représentent 79 % des fusillés. Les étrangers (29 nationalités) sont bien plus nombreux en pourcentage que leur représentation dans la population totale de la France. Toutes les tranches d’âge sont représentées mais les moins de 40 ans constituent 69 % de la population concernée.
Les fusillades massives visent à museler, par la mise en place d’une politique de terreur, toute opposition aux mesures répressives nazies mais elles ne font que galvaniser la volonté de Résistance et dresser l’ensemble de la population française contre l’Occupant.
Références
— Fontaine Thomas, Peschanski Denis, 2018, La collaboration : Vichy, Paris, Berlin, 1940-1945. Ed. Tallandier/Archives Nationales/Ministère Défense.
— Klarsfeld Serge, Tsévery Léon, 2010, Les 1007 fusillés du Mont-Valérien parmi lesquels 174 Juifs. Association des fils et filles des déportés juifs de France.
Suzanne Spaak
(1905-1944)
Suzanne Augustine Lorge est née à Bruxelles en 1905 dans une famille protestante libérale et aisée.
En 1925, elle épouse l’écrivain Claude Spaak, frère de Paul-Henri Spaak, député et ministre, et du scénariste Charles Spaak.
Dans les années 30, en Belgique puis à Paris où elle s’installe en 1936, elle s’investit dans le secours aux réfugiés espagnols républicains et aux immigrés d’Europe de l’Est qui fuient le nazisme. Elle a deux enfants.
Durant l’Occupation, elle poursuit son action humanitaire. À partir de 1942, au sein du Mouvement national contre le racisme, le MNCR, créé par la section juive de la M.O.I. pour sensibiliser les milieux chrétiens aux persécutions contre les Juifs, elle se consacre plus spécifiquement au sauvetage d’enfants juifs.
Sa position sociale lui permet de solliciter de nombreuses aides et de trouver des appuis, notamment parmi les magistrats, les écrivains et dans les milieux ecclésiastiques. Elle obtient ainsi des adresses pour cacher des enfants et leur fabriquer de faux papiers et recueille des subsides importants (dont ceux de l’écrivaine Colette, sa voisine) pour les vêtir et les nourrir.
L’action la plus spectaculaire à laquelle elle participe est l’exfiltration, en une journée, d’une soixantaine d’enfants d’un foyer de l’ Union générale des Israélites de France, l’UGIF, menacés de déportation. Grâce au pasteur Paul Vergara, du Temple de l’Oratoire, à la secrétaire du pasteur, Marcelle Guillemot, à nombre de paroissiens du temple et à l’Union des Femmes Juives, l’UFJ, (issue de la section juive de la M.O.I.), les enfants sont conduits en lieu sûr à la campagne dans des familles d’accueil.
L’action de Suzanne Spaak a permis de sauver plus de 500 enfants voués à une mort atroce. En danger à Paris, S. Spaak se réfugie à Bruxelles avec ses enfants. Arrêtée par la Gestapo, elle est transférée à la prison de Fresnes, soumise à des tortures physiques et morales, dont un chantage menaçant la vie de ses proches. Elle est exécutée le 12 août 1944, deux semaines avant la Libération de Paris.
En 1985, Suzanne Spaak est nommée “Juste parmi les Nations”.
Références
— Gensburger Sarah (collectif), 2012, C’étaient des enfants. Déportation et sauvetage des enfants juifs à Paris. Ed. Skira Flammarion.
— Nelson Anne : 2018, La vie héroïque de Suzanne Spaak. Ed. Robert Laffont.
— Photo : coll. Particulière (DR)
MOUVEMENT NATIONAL CONTRE LE RACISME (MNCR)
Il faut cacher des enfants qui risquent la déportation, organiser des évasions et le passage des frontières, trouver des planques, fabriquer de faux papiers.
Le MNCR diffuse plusieurs journaux clandestins, dont les deux plus importants sont J’accuse en zone nord et Fraternité en zone sud. Il publie également des tracts et des brochures : par exemple, le numéro du 20 octobre 1942 de J’accuse qui évoque les assassinats de Juifs par un « nouveau gaz toxique » et Le Mensonge raciste. Ses origines, sa nature, ses méfaits, rédigé par le philosophe Vladimir Jankélévitch à Toulouse en 1943. Le MNCR développe des liens avec certains membres de l’Épiscopat et de la communauté protestante, qui permettent des actions de sauvetage comme celle de 63 enfants d’un foyer de l’UGIF à Paris, en février 1943.
En 1949, le MNCR devient le Mouvement Contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix (MRAP).
Référence
Adler Jacques, 1985, Face à la persécution. Les organisations juives à Paris de 1940 à 1941, Éditions Calmann-Lévy.