L’intervention du Parti communiste clandestin, qui se reconstitue, se situe d’abord sur le terrain social par l’encadrement d’opérations de solidarité. Très rapidement, en octobre 1940, la direction du PCF met en place des groupes de l’Organisation spéciale (OS), composés au départ de militants aguerris, chargés de la protection des responsables lors des prises de parole. Des Juifs immigrés participent à ces groupes.
D’autres, dans le même temps, souhaitent intégrer, autour de Jacques Kaminski, les groupes OS dépendant directement de la section juive de la M.O.I. Dès l’hiver 1940-1941, tous ces groupes sont opérationnels. Ils œuvrent toujours en « triangles », par équipes de 3 militants.
Ces groupes agissent principalement contre le gouvernement de Vichy, toujours considéré comme une marionnette au service des nazis et distribuent des tracts et des numéros clandestins du quotidien communiste, l’Humanité.
Parallèlement, les premiers groupes de jeunes juifs communistes de la M.O.I., formés dès l’été 1940, sont solidement organisés à Paris en décembre puis en janvier 1941 à Lyon. Nombre de ces jeunes ont été éduqués dans les patronages du dynamique réseau associatif de la M.O.I. avant la guerre. Nés en France, pour la plupart, ils partagent l’idéal démocratique de leurs parents et se sentent à la fois Juifs et Français.
Fin mars 1941, les premières arrestations de Juifs communistes ont lieu dans la capitale. De mars à mai, elles se poursuivent et frappent notamment les jeunes.
L’ ORGANISATION SPÉCIALE (DU PCF)
Le PCF prend la décision de se lancer dans la lutte armée contre l’occupant allemand après l’invasion de l’URSS et en accord avec les directives reçues de l’Internationale communiste. Ce sont les membres de l’OS., renforcés par le recrutement de jeunes communistes (les futurs Bataillons de la jeunesse) qui perpètrent les premiers attentats contre les forces d’occupation au cours desquels des officiers allemands sont abattus : attentat parisien de Barbès réalisé par Pierre Georges (le futur colonel Fabien) le 21 août 1941, attentat de Nantes effectué par trois membres de l’OS venus de Paris, Gilbert Brustlein, Marcel Bourdarias et Spartaco Guisco, 20 octobre 1941, attentat de Bordeaux mené par Pierre Rebière, le 21 octobre 1941.
Devant l’ampleur des représailles allemandes avec l’exécution de nombreux otages et les réactions négatives qu’elles provoquent dans l’opinion, la direction communiste ne revendique pas alors publiquement ces actions de l’OS.
Cependant, la lutte armée continue et se renforce. Une étape est franchie en avril 1942 avec la fusion de l’OS, des Bataillons de la jeunesse et des groupes armés de la M.O.I. dans une nouvelle organisation armée : les Francs-tireurs et partisans (FTP et FTP-M.O.I.) ouverts à tous les résistants.
Références
— Guérin Alain, 2000 Chronique de la Résistance, Éditions Omnibus (également éditée en 1972-1976 par le Livre-Club Diderot).
— Daix Pierre, 2013, Les Combattants de l’impossible. La tragédie occultée des premiers résistants communistes, Paris, Robert Laffont.
Jacques Kaminski
Dit Hervé
(1907-1978)
Jacques Kaminski, de son vrai nom Jankiel Unglik, naît le 6 octobre 1907, en Pologne, dans une famille juive ouvrière du village de Klobusk. Il doit quitter l’école dès l’âge de treize ans et devient apprenti-coiffeur.
Il adhère aux Jeunesses communiste à seize ans et émigre en Belgique puis, en 1930, en France où il se fixe.
Il milite à la M.O.I. dans la section juive. Il est secrétaire du « travail juif » et des « Amis de La Naïe Presse», le quotidien progressiste en langue yiddish fondé en 1934.
Pendant la guerre civile espagnole, Kaminski se rend en Espagne auprès des combattants juifs pour organiser le travail politique (dont l’action des cadres) et la communication de la compagnie Botwin (à travers ses publications).
Louis Gronowski, dirigeant national de la M.O.I., le nomme « responsable aux questions d’organisation ». Jacques Kaminski va faire partie du « triangle de direction » de la M.O.I. avec Louis Gronowski et Artur London.
En septembre 1940, Jacques Kaminski, Louis Gronowski et d’anciens responsables de la section juive de la M.O.I., créent l’organisation d’entraide illégale, « Solidarité », future Union des Juifs pour la Résistance et l’entraide (UJRE).
À la suite de la création, par les communistes, de l’Organisation spéciale (OS) de lutte armée contre l’occupant, en octobre 1940, Kaminski assure l’organisation de l’OS-M.O.I. en 1941.
Après l’unification, au sein des FTPF, des différentes organisations communistes combattantes, Kaminski est chargé de constituer les FTP-M.O.I. et en confie la direction militaire à Boris Holban au printemps 1942.
Il assure, pendant l’Occupation, les liaisons entre la direction nationale du PCF et les résistants de la M.O.I. Il travaille en étroite union avec Gronowski et Holban. La sûreté de son jugement et le bien-fondé de ses décisions sont reconnus unanimement.
En 1947, Kaminski retourne en Pologne où il intègre les services de sécurité. Au début des années 1950, il en est écarté mais chargé ensuite des rapports entre le Parti ouvrier unifié polonais (POUP) et les Partis communistes d’Europe occidentale.
Contrairement à son compagnon de route, Louis Gronowski, Jacques Kaminski reste en Pologne, où ils sont retournés tous deux après la guerre « pour y construire le socialisme » et il meurt à Varsovie le 12 juin 1978.
Références :
— Gronowski-Brunot Louis, 1980, Le dernier grand soir. Ed du Seuil.
— Courtois Stéphane, Peschanski Denis, Rayski Adam, 1994, Le Sang de l’Etranger Ed.. Fayard
— Photo: Diamant David Combattants, Héros et martyrs de la Résistance” Ed. Renouveau 1984
SECTION JUIVE DE LA M.O.I.
La section juive yiddishophone, très active, est à la tête de nombreuses institutions sociales et culturelles.
Certains permanents sont membres du Parti communiste. Ils ont, à leurs côtés, quelques centaines d’adhérents qui conservent une activité professionnelle et militent dans le milieu des Juifs immigrés, regroupés, principalement, dans les quartiers populaires du centre et de l’est de Paris.
L’instrument principal de leur influence est, depuis 1934, le journal yiddish quotidien, La Naïe Presse (La Presse Nouvelle). Ces militants agissent au sein de ce qu’on nomme des organisations « de masse », réseaux d’associations diverses qui servent de courroies de transmission pour les mots d’ordre du Parti. Ce sont des viviers d’initiation politique et de recrutement.
Ainsi, la Kultur Ligue, cœur de la vie sociale des jeunes Juifs immigrés, s’installe 10 rue de Lancry et devient en même temps qu’un organisme culturel, une sorte de Bourse du travail et de logement, un bureau de renseignement pour l’obtention de papiers d’identité et de travail. Sous son égide, se créent une bibliothèque, un théâtre yiddish, une chorale, une section de jeunes, un club sportif, un dispensaire, un patronage, des colonies de vacances, une organisation de femmes, des sociétés de villes selon les origines des immigrés… Il s’agit de l’esquisse d’une contre-société couvrant toutes sortes de besoins.
Ces Juifs internationalistes participent aux luttes du mouvement ouvrier français auquel ils sont liés organiquement.
Ils sont partie prenante des combats antifascistes et très présents lors des grandes grèves de 1936 pour soutenir le Front populaire. Ils appuient la république espagnole et beaucoup s’engagent dans les Brigades internationales.
Ils soutiennent la culture yiddish et dénoncent les mesures contre les immigrés, l’antisémitisme en France et les persécutions anti-juives dans l’Allemagne hitlérienne.
Référence
Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, Juifs révolutionnaires, Paris, Messidor/Éditions Sociales
TRACTS -"PAPILLONS"
Les jeunes Juifs communistes sont nombreux à lancer des tracts à la sortie des cinémas, à l’intérieur des salles depuis les balcons, sur des marchés, aux entrées et sorties d’usines, depuis le métro aérien à Paris, dans les tramways de Lyon ou Villeurbanne et dans d’autres régions.
Lors d’une action à Lyon, des tracts en allemand sont projetés par-dessus les murs de la caserne de la Part-Dieu pour démoraliser l’ennemi.
Les passants qui ramassent les tracts, dans la rue ou ailleurs, les cachent rapidement.
Il est extrêmement dangereux de les transporter et nombre de diffuseurs sont arrêtés et déportés pour faits de propagande anti-hitlérienne.
Référence
Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, Juifs révolutionnaires, Messidor/Éditions sociales
LE RÉSEAU ASSOCIATIF JUIF LIÉ À LA M.O.I.
La Kultur Ligue ( Ligue culturelle) dont le nom nom officiel est : « Ligue juive d’enseignement », est fondée en 1918 à Kiev et voit le jour à Paris en 1923.
Son but : propager la culture yiddish, créer une bibliothèque, une université ouvrière.
L’Arbeter Orden (l’Ordre ouvrier), une société d’aide mutualiste, est créé en 1933. Il organise une permanence juridique, fonde un dispensaire et une association : « Les Amis de l’enfant ouvrier juif » qui anime une colonie de vacances.
Les fondateurs du YASK (club sportif ouvrier juif), qui comptera en 1934 cinq cents adhérents, sont des jeunes de la Kultur Ligue. D’autres membres de la Kultur Ligue fondent le AYK (club de jeunes travailleurs) qui devient une tribune du militantisme politique et social.
De nombreuses troupes de théâtre naissent dans les années vingt. En 1934, est créé le Pariser Yidisher Arbeter Teater (PYAT) : le théâtre juif de la rue de Lancry, à Paris, propose tout le répertoire yiddish.
D’autres militants animent des “Patronati”, comités d’aide aux prisonniers politiques en Pologne et en Palestine sous mandat britannique.
L’association des “Amis de La Naïe Presse » diffuse le journal, le soutient et entretient des liens avec le lectorat.
Par ailleurs, le “Mouvement des Femmes juives contre le Fascisme et la guerre” est organisé en 1935.
Référence
Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, Juifs révolutionnaires, Messidor/Éditions Sociales