Des familles entières ont disparu, d’autres ont été décimées.
Certains rescapés du génocide choisissent de militer au sein du Parti communiste français ou dans différents partis à vocation progressiste et sociale. D’autres retournent dans leurs pays d’origine pour, espèrent-ils, y bâtir le socialisme. Beaucoup, déçus, en repartiront…
Après le rétablissement de la République et le retour à la démocratie auxquels ils aspirent, de nombreux survivants s’impliquent dans des organisations juives issues de la Résistance. Elles viennent en aide, matériellement et juridiquement aux familles juives en difficulté. Nombre de militants s’investissent au sein de l’UJRE, très influente dans cet immédiat après-guerre. Ils œuvrent pour la reconnaissance du rôle spécifique de leurs organisations dans la Résistance. Ils souhaitent renouer avec les mouvements culturels, sociaux et politiques d’avant-guerre.
La CCE, Commission Centrale de l’Enfance auprès de l’UJRE, est créée en 1945. Une organisation destinée à accueillir les orphelins juifs dont les parents ont été exterminés, est une urgence absolue. Sous la responsabilité de Joseph Minc, un premier comité de dirigeants se met en place. Il est composé de quatre anciens résistants de la section juive et de deux pédagogues. La Commission Centrale de l’Enfance, à la pédagogie très innovante, est constituée de diverses structures. Les Maisons d’enfants (les « foyers ») accueillent les orphelins. Les patronages et les colonies de vacances reçoivent à la fois les orphelins et des enfants de familles juives ayant échappé au massacre.
Les institutions juives américaines regroupées dans le JOINT (organisation juive internationale de secours) aident matériellement, un temps, la CCE.
UNION DES JUIFS POUR LA RÉSISTANCE ET L'ENTRAIDE (UJRE)
La création de l’UJRE participe de la même démarche d’élargissement. Après l’entrée des Allemands en zone sud et les déportations massives, la communauté de destin des Juifs, immigrés ou français, est désormais évidente. C’est dans ce contexte qu’au printemps 1943, se réunit clandestinement la conférence de 7 responsables des centres de Résistance des zones Nord et Sud liés à la section juive de la M.O.I. : Idel Korman, Edouard Kowalski, Adam Rayski, Sophie Schwartz, Thérèse Tennenbaum, de la direction parisienne, Charles Lederman et Jacques Ravine de la direction de la zone sud. Ils décident la création d’un organisme central clandestin de coordination, l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, l’ UJRE, qui fédère en son sein d’autres organisations clandestines : « Solidarité » des deux zones, l’Union de la jeunesse juive, l’UJJ, l’Union des femmes juives, l’UFJ, les comités juifs du secours populaire, la commission intersyndicale juive, les groupes armés juifs des FTP-M.O.I.
Notre Parole et Droit et Liberté deviennent les organes de l’UJRE en français. Unzer Wort paraît en yiddish. L’UJRE se veut ouverte à tous les Juifs. Elle impulse aussi l’unification partielle de la Résistance juive au sein d’un Comité Général de Défense, donnant naissance en 1944 au CRIF, Conseil représentatif des Israélites de France.
Des groupes de combat existent déjà sous l’égide de « Solidarité ». Ils prennent le nom de « groupes de combat de l’UJRE » et connaissent une grande extension. À la différence des FTP-M.O.I., leurs membres gardent une activité civile. Ils agissent soit en appui des FTP-M.O.I., soit de façon autonome. Ces groupes jouent un rôle éminent dans les combats de la Libération.
Grâce à son action multiforme, l’influence de l’UJRE dans la population juive immigrée progressiste est considérable au moment de la Libération.
Références :
— Ravine Jacques, 1973, La Résistance organisée des Juifs en France, Julliard.
— Diamant David, 1971, Les Juifs dans la Résistance française, Le Pavillon.
— Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowki Michel, 1987, Juifs révolutionnaires, Messidor/Éditions sociales.
COMMISSION CENTRALE DE L’ENFANCE (CCE)
Une première Maison pour enfants de fusillés et déportés reçoit d’abord les orphelins à Montreuil-sous-Bois (en actuelle Seine Saint-Denis) mais, très vite, 8 autres maisons d’enfants, dites foyers, sont créées entre 1945 et 1956. La dernière maison fermera en 1958. La plus emblématique est le manoir de Denouval à Andrésy, dans la région parisienne.
Ces 9 foyers abritent des orphelins juifs, de la petite enfance à l’adolescence. Entre 500 et 600 enfants y sont accueillis et éduqués. Les foyers fonctionnent grâce à de nombreuses collectes et aides ponctuelles.
L’esprit progressiste anime les maisons d’enfants de la CCE : idéal révolutionnaire et laïque, pédagogie novatrice (proche des idées de Makarenko, Korczak, Montessori et du mouvement de l’Éducation Nouvelle), exaltation des héros de la Résistance, incarnée par les combattants de la section juive de la M.O.I. Des colonies de vacances sont réparties sur tout le territoire français. 2500 enfants juifs, orphelins ou non, fréquentent chaque année ces colonies où l’on fait découvrir les grands écrivains de langue yiddish et rêver aux « lendemains qui chantent ». L’une des colonies les plus représentatives est celle de Tarnos (Landes) à vocation sanitaire.
Parallèlement, la CCE organise des patronages tandis que résonne encore la langue yiddish au siège de la rue de Paradis (Paris 10ème).
Une grande kermesse est organisée chaque année au profit des œuvres sociales et solidaires. L’adhésion militante à un monde juste et démocratique va de pair, à la CCE, avec l’attachement à une judéité humaniste, exempte de tout communautarisme.
La CCE cesse son activité en 1988.
Références
— Ouvrage collectif, 2022, La Commission centrale de l’Enfance, Des larmes aux rires, Histoire et mémoire d’une organisation juive, laïque et progressiste, 1945-2020. Ed Le cherche midi-AACCE.
— Wolikow Serge et Lassignardie Isabelle, 2015, Grandir après la Shoah, Ed. de l’Atelier.
— Hazan Katy, 2003, Les orphelins de la Shoah, les maisons de l’espoir (1944-1960). Éd. Les Belles Lettres.
Joseph Minc
(1908-2011)
Joseph Minc naît le 14 mars 1908 dans l’empire russe, à Brest-Litovsk. Sa mère appartient à une famille de rabbins. Son père a suivi les cours de l’école rabbinique. La destinée première de Joseph est la religion.
Après la Première Guerre mondiale, il a successivement la nationalité polonaise, puis russe au gré des conflits entre les deux pays.
Il fréquente l’école hébraïque puis part, en 1922, à Varsovie pour poursuivre son cursus dans une école rabbinique. Il regagne Brest-Litovsk pour entreprendre des études de mécanicien dentiste et fait « ses adieux à Dieu. ».
Il adhère en 1924 au Parti communiste illégal de Pologne, il exerce des responsabilités dans les secteurs de la propagande politique, du militantisme syndical et dans les organisations juives.
Il réussit le baccalauréat mais ne peut accéder aux études de chirurgien-dentiste en raison du numerus clausus imposé aux Juifs.
Il s’exile en France, à Bordeaux, en 1931, puis à Paris en 1937 où il obtient son diplôme de dentiste.
En 1939, à la déclaration de la guerre, bien qu’étranger, il se porte volontaire dans l’armée française mais il est recruté, en 1940, en tant que dentiste dans une armée polonaise constituée en France.
À l’été 1940, il est fait prisonnier à Montbéliard, puis libéré en qualité de « membre des services de santé » et il rejoint Paris.
Il rejoint l’organisation clandestine juive de la M.O.I. « Solidarité » et participe au Comité d’aide aux femmes et aux enfants.
En 1942, refusant le port de l’étoile jaune, il entre dans la clandestinité et intègre le MNCR (Mouvement National Contre le Racisme) ; sous le pseudonyme de Mine ou Dacqmine, il participe au sauvetage des enfants.
Dès la création de l’UJRE (Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide) en mai 1943, il s’implique dans la Commission de l’Enfance chargée de cacher les enfants juifs pour les soustraire à la déportation. Minc et ses camarades trouvent des lieux d’accueil et suivent le placement des enfants.
À la Libération, il participe à un Comité d’unité juif qui comprend des représentants de toutes les tendances. Ce comité a pour mission d’aider les Juifs qui sortent de la clandestinité, à se loger, à se vêtir et à prendre connaissance de leurs droits.
Joseph Minc participe au ravitaillement de cantines et à la recherche des enfants juifs cachés.
Au début de l’année 1945, la Commission de l’enfance de l’UJRE devient la CCE (Commission Centrale de l’Enfance auprès de l’UJRE). Joseph Minc en est le premier secrétaire général jusqu’en 1946.
En quelques mois, de février à octobre 1945, la CCE crée six maisons d’accueil, à la pédagogie innovante, pour recevoir environ 350 orphelins.
Dès l’été 1945, des colonies de vacances sont organisées pour tous les enfants juifs, y compris les non-orphelins.
Joseph Minc quitte la CCE en juin 1946. En 1950, il est secrétaire de l’UGEVRE (l’Union fédérale des engagés volontaires résistants d’origine étrangère) jusqu’en 1968.
Il meurt à Paris le 8 janvier 2011.
Références
— Minc Joseph, 2001, L’extraordinaire histoire de ma vie ordinaire. Ed Bookpole
— AACCE, 2009, Les Juifs ont résisté en France 1940-1945. Ed AACCE
— Wolikow Serge, Lassignardie Isabelle, 2015, Grandir après la Shoah. Ed de l’Atelier
AMERICAN JEWISH JOINT DISTRIBUTION COMITEE (JOINT)
Dès l’arrivée des nazis au pouvoir, en 1933, le Joint soutient, notamment, l’installation de réfugiés juifs allemands et autrichiens en Amérique latine et même en Asie.
Les bureaux de Paris ferment pendant l’Occupation mais le Joint développe des activités clandestines d’entraide et de Résistance, en France comme dans d’autres pays d’Europe.
Au plus fort de l’emprise nazie, en 1942, l’aide américaine ne peut plus atteindre les ghettos de Pologne ou de Lituanie dont les populations sont rapidement assassinées.
Elle parvient à s’exercer dans d’autres pays de l’Est malgré les persécutions et avant le transfert des Juifs dans les camps d’extermination.
À la fin de la guerre, le Joint apporte son soutien aux Juifs rescapés d’Europe, à ceux qui émigrent en Palestine sous mandat britannique puis aux immigrants du nouvel État israélien.
Auparavant, dans les derniers mois de l’Occupation, le Joint verse des fonds au Comité de l’Enfance de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE) par l’intermédiaire de l’Œuvre de Secours aux Enfants (l’OSE) qui relaie avec force toutes les demandes de l’UJRE.
Après la Libération, Joseph Minc, Responsable du Comité et avec l’accord de ses membres (Szmulek Farber, Cécile Cerf, Jeanne Pakin, Sophie Schwartz, Louba Pludermacher, Isidore Bernstein), souhaite recevoir directement l’aide du Joint.
En ce début de guerre froide, l’UJRE va être considérée par les Américains comme une organisation politique communiste liée à l’URSS. Joseph Minc propose alors une appellation moins marquée : le Comité de l’Enfance de l’UJRE devient la Commission Centrale de l’Enfance (CCE). Minc en est le Secrétaire général.
La nouvelle désignation convainc, la CCE reçoit directement du Joint des subsides indispensables à son fonctionnement et des colis de vêtements pour les enfants.
Dès 1946, dans une salle du 14 rue de Paradis (dans le 10ème arrondissement de Paris), siège de l’UJRE, les militants viennent choisir des vêtements pour leurs enfants.
Le Joint cesse de subventionner la CCE en janvier 1953.
Références
— Hobson Faure Laura, 2018, Un “plan Marshall juif” ? La présence juive américaine en France après la Shoah, 1944-1954, Paris, Le Manuscrit.
— Minc Joseph, 2001, L’extraordinaire histoire de ma vie ordinaire. Cop. Joseph Minc, Bookpole.