En Pologne, à l’intérieur même du ghetto de Varsovie, où les Juifs sont enfermés depuis 1940, la résistance s’organise. Le 19 avril 1943, les SS se heurtent à l’insurrection héroïque des combattants qui refusent de mourir sans lutter. Les forces sont inégales, les moyens de combat disproportionnés. L’insurrection s’achève par un dénouement tragique le 16 mai 1943. Des déportés d’Auschwitz seront envoyés provisoirement à Varsovie pour nettoyer les ruines du ghetto.
La première étape de l’objectif des nazis est atteinte : la fin de la présence juive en Pologne… et ailleurs à l’Est.
En France, la section juive de la M.O.I. rend compte de l’insurrection. La presse clandestine incite à la Résistance, sous toutes ses formes, sans distinction d’opinion, de milieu social ou de nationalité.
Les résistants juifs communistes s’emploient à faire comprendre le lien qui unit les révoltés du ghetto de Varsovie à la lutte antinazie en France. Ils travaillent, inlassablement, à renforcer le rapprochement avec le peuple français.
Le soulèvement du ghetto de Varsovie a valeur d’exemple pour tous les résistants juifs, informés de l’événement. Les publications du MNCR rendent compte de la situation tragique des Juifs et appellent à une nécessaire solidarité avec eux.
Face à la volonté destructrice exercée par les nazis, la Résistance armée est une nécessité.
GHETTO
Le premier quartier imposé aux Juifs par les autorités de l’État, le ghetto de Venise, apparaît en 1516. Il est fermé du crépuscule à l’aube.
En Europe centrale, au 19ème siècle, les quartiers juifs sont pauvres, exigus et surpeuplés, les déplacements des habitants sont réglementés mais la vie communautaire et culturelle y est souvent intense. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les quartiers juifs transformés en ghettos contrôlés par les nazis, participent du dispositif concentrationnaire et d’extermination.
Certains ghettos sont couplés avec des centres de mise à mort : Łódź et Chelmno, Minsk et Maly Trostinets, Wilno et Ponar.
Les nazis parquent les Juifs d’Europe orientale dans leurs quartiers d’habitation, coupés de tout contact avec l’extérieur, notamment à Wilno, Kaunas, Cracovie, Varsovie, Lublin, Lwów, Riga, Białystok, Łódź… À Wilno (actuelle Vilnius), les Juifs sont répartis dans 2 ghettos.
Le quotidien dans tous ces ghettos, travail forcé, privations, insalubrité, misère, morts nombreuses par épidémies ou mauvais traitements, est semblable aux conditions des détenus dans les camps d’extermination, à partir de décembre 1941. Les massacres de masse de Juifs par les commandos de la mort démultiplient le nombre de victimes mais les nazis ont des projets de planification exterminatrice industrielle.
À Varsovie, le ghetto se révolte avant d’être détruit pierre par pierre après un héroïque soulèvement, en avril-mai 1943.
Les ghettos, étapes préalables à la « solution finale de la question juive » sont condamnés à disparaître par la généralisation du Zyklon B et l’évacuation, en nombre, des Juifs vers les chambres à gaz des camps d’extermination.
Par extension abusive, et sans commune mesure avec les conditions des ghettos juifs de la période nazie, le terme ghetto est employé actuellement dans une autre acception.
Il désigne un quartier défavorisé où se concentre une minorité ethnique, culturelle ou religieuse qui vit repliée sur elle-même dans des conditions précaires.
Références
— Rojtman Pierre-Jacques, Wirth Louis, (2004), Le Ghetto. In : Diasporas. Histoire et sociétés, n° 4, Cinéma, cinéma. pp. 180-191. Éditions Persée.
— Encyclopédie Larousse, en ligne : https : //www. larousse. fr/encyclopedie
ORGANISATION SCHUTZSTAFFEl (5S)
Heinrich Himmler, principal dirigeant de la SS, est l’organisateur de l’extermination des Juifs d’Europe avec son adjoint, Reinhard Heydrich. Adolf Eichmann, autre haut dignitaire de la SS, assure la logistique de la « Solution finale de la question juive ».
La SS planifie les massacres de masse (ou « Shoah par balles ») en Europe de l’Est en déployant les « Einzatsgruppen », des unités mobiles meurtrières, principalement en Ukraine, en Lituanie ou en Biélorussie. Près de 3 millions de Juifs sont assassinés par fusillades.
Les camps d’extermination par le gaz, conçus par la SS, prennent le relais des massacres de masse et « industrialisent » le processus de destruction. Les centres de mise à mort de Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Auschwitz-Birkenau et Majdanek sont tous gérés par la SS. C’est la SS, encore, qui écrase le soulèvement du Ghetto de Varsovie.
En France, alors que la fin du nazisme est proche, c’est une division SS qui perpètre le massacre d’Oradour-sur-Glane (648 villageois brûlés vifs dans l’église en représailles à des actions des Résistance).
La SS est directement responsable de la « Shoah ». Toutes nationalités confondues, les victimes juives des nazis en général et de la SS en particulier s’élèvent à 6 millions.
Au procès de Nuremberg (1945-1946), la SS, qui a répandu la terreur sur l’Europe entière, est déclarée officiellement « organisation criminelle ».
Références
— Wieviorka Annette, 2006, le procès de Nuremberg. Ed Levi.
— Arendt Hannah, 1966, Eichmann à Jérusalem. Ed. Guérin et 1991, Gallimard folio.
INSURRECTION DU GHETTO DE VARSOVIE
Après les déportations au centre d’extermination de Treblinka, il ne reste plus que 60 000 Juifs dans le ghetto.
Le lundi 19 avril 1943, veille de la Pâque juive, une colonne blindée de SS pénètre dans le ghetto de Varsovie pour procéder à sa liquidation. Elle est accueillie par un tir de bombes incendiaires lancées des fenêtres et des toits, qui contraignent les nazis à se replier.
C’est le début du soulèvement, une date fondamentale dans l’histoire du génocide juif. Deux mille SS, lourdement armés, sont envoyés face à quelques centaines de résistants juifs très peu équipés. La révolte est menée par l’Organisation juive de combat (environ 700 combattants), qui représente toutes les formations politiques présentes dans le ghetto. Il faudra aux nazis près d’un mois pour écraser la résistance héroïque des combattants et de la population du ghetto qui ont choisi leur mort : debout, les armes à la main.
Les SS incendient le ghetto, maison par maison, pour forcer les habitants à sortir de leur cachette afin de les exécuter. Le 16 mai, il ne reste plus que des ruines. Seuls quelques centaines de survivants réussissent à s’échapper par les égouts.
Dès le 13 mai, en France, toute la presse clandestine de la section juive de la M.O.I. est mobilisée pour informer du soulèvement, en faire le bilan et appeler tous les Juifs à l’unité, sans distinction d’opinion, de milieu social et de nationalité.
Marceau Vilner, déporté à Auschwitz et requis par les nazis pour nettoyer les ruines du ghetto de Varsovie, témoigne :
« […] Pour bien apprécier l’héroïque soulèvement du ghetto de Varsovie, il ne faut pas le juger comme une action isolée, ni comme un acte de désespoir.
C’est dans une phase bien déterminée de la guerre que ce soulèvement s’est produit. Il a mûri dans les conditions créées par la victoire de Stalingrad, qui détruisit la légende de la toute-puissance de l’Allemagne. Il serait inexplicable sans l’aide de la Résistance polonaise et sans le concours des partisans juifs de l’extérieur. Il serait faux également de croire que les quarante mille derniers survivants juifs ont cherché une mort héroïque, mais sans aucune perspective […] ».
Dans tous les pays occupés, la portée de l’insurrection est immense : une poignée d’hommes et de femmes, isolés avec très peu de moyens de défense, a tenu tête à la plus puissante armée du monde. Cette leçon de courage est devenue le symbole de la Résistance juive.
Références
— Rayski Adam, 2003, L’Agonie et la Révolte des derniers Juifs du ghetto de Varsovie (textes réunis et analysés), Musée de la Résistance nationale & La Lettre des résistants et déportés juifs de France. À compte d’auteur.
— Vilner Marceau, Le Chant du ghetto de Varsovie, extrait. Supplément au n° 138 de PNH
RUINES DU GHETTO
Marceau Vilner, militant juif communiste M.O.I., fondateur de la Presse nouvelle hebdomadaire (PNH) témoigne :
« Au mois de septembre 1943, furent conduits d’Auschwitz à Varsovie deux mille déportés juifs français, belges, hollandais et grecs. J’étais du convoi. Quand nous descendîmes du train, dans une gare à la limite du ghetto, à l’aube, une image effroyable s’offrit à nos yeux. De toutes les maisons, étrangement déchiquetées, ne restaient debout que les murs extérieurs. Lits, briques et ferrailles se trouvaient projetés sur la chaussée Chaque maison, vidée, consumée par le feu, offrait un aspect différent […] Quelques débris fumaient encore.
Nous fûmes parqués dans un camp de concentration, au cœur du ghetto. Notre travail consistait à démolir une par une ces ruines, à nettoyer les briques et à récupérer la ferraille. Ces dizaines de millions de briques et ces centaines de milliers de poutres devaient être acheminées vers l’Allemagne comme butin de guerre.
Au premier contact de ces ruines, nous sûmes que, dans les constructions souterraines savamment dissimulées, il y avait encore des survivants. Une brigade spéciale de S.D. était chargée de découvrir les abris et de fusiller les survivants, afin de ne laisser aucune trace, aucun témoin.
Le troisième jour, un camarade avait fait une découverte à l’insu des gardiens S.S. […] Je m’arrangeai pour travailler à la ruine signalée […].
En avançant, je me heurtai à une femme brandissant un revolver. Deux hommes étaient étendus à ses côtés, immobiles, agonisants.
Une semaine après, le quartier sautait à la dynamite, enterrant vifs tous ceux qui s’y trouvaient encore.
Plusieurs mois plus tard, avec un ami, je descendis un jour dans les égouts. Tout au long se trouvait une rangée de cadavres asphyxiés, chacun tenant à la main une valise ou un sac. Le tout en décomposition avancée. On pouvait sans peine reconstituer les événements. Quand le ghetto brûla et que les combats approchèrent de leur fin, un certain nombre essaya de gagner le côté « aryen » par la voie souterraine. Les Allemands, l’ayant appris, obstruèrent les bouches des égouts et attaquèrent les fugitifs aux gaz.
Un autre jour, un camarade trouva un journal tenu au jour le jour par une jeune fille, pendant trois mois : avril, mai, juin 1943. Ce journal s’arrêtait au milieu d’une phrase, un jour de juin… »[…].
Extrait de la plaquette « Le chant du ghetto de Varsovie », supplément au n° 138 de la Presse Nouvelle hebdomadaire (PNH).
Texte repris dans le n° 275 d’Avril 2010 de la Presse Nouvelle magazine (PNM)
FIN DE LA PRÉSENCE JUIVE EN POLOGNE
La France compte l10 000 immigrés juifs d’Europe de l’Est. La majorité d’entre eux est d’origine polonaise. Ils ont fui la misère et l’antisémitisme.
Souvent politisés dans leur pays d’origine, ils choisissent de s’installer en France par admiration pour la « patrie des droits de l’Homme ». Nombre de militants de la section juive de la M.O.I. vont s’engager dans la Résistance et mourront exécutés ou en déportation.
Après la signature du pacte germano-soviétique, le 23 août 1939, l’Allemagne et l’URSS envahissent la Pologne.
Les nazis regroupent d’abord les Juifs dans des ghettos. Nombre d’entre eux sont jetés dans des fosses, la plupart sont fusillés par des groupes mobiles d’intervention ou gazés dans des camions itinérants.
Après la décision de la « solution finale de la question juive » à la conférence de Wannsee, en janvier 1942, les Juifs sont déportés dans des centres de mise à mort.
Entre 40 000 et 100 000 Juifs polonais survivent à la destruction, en rejoignant des groupes de résistants polonais et de partisans soviétiques ou en se cachant.
Sur les 6 millions de Juifs exterminés pendant la guerre, près de la moitié sont originaires de Pologne.
La population juive demeurée en Pologne est quasiment anéantie lors de la Shoah.
En 1946, le nombre de Juifs en Pologne atteint 240 000 personnes mais l’antisémitisme est toujours présent. Actuellement, seuls quelques milliers de Juifs vivent dans ce pays.
Références
— Hilberg Raoul, 1988, La Destruction des Juifs d’Europe,. Ed. Fayard.
— Minczeles Henri, 2006, Une histoire des Juifs de Pologne : Religion, culture, politique, Ed. La Découverte,.
SECTION JUIVE DE LA M.O.I.
La section juive yiddishophone, très active, est à la tête de nombreuses institutions sociales et culturelles.
Certains permanents sont membres du Parti communiste. Ils ont, à leurs côtés, quelques centaines d’adhérents qui conservent une activité professionnelle et militent dans le milieu des Juifs immigrés, regroupés, principalement, dans les quartiers populaires du centre et de l’est de Paris.
L’instrument principal de leur influence est, depuis 1934, le journal yiddish quotidien, La Naïe Presse (La Presse Nouvelle). Ces militants agissent au sein de ce qu’on nomme des organisations « de masse », réseaux d’associations diverses qui servent de courroies de transmission pour les mots d’ordre du Parti. Ce sont des viviers d’initiation politique et de recrutement.
Ainsi, la Kultur Ligue, cœur de la vie sociale des jeunes Juifs immigrés, s’installe 10 rue de Lancry et devient en même temps qu’un organisme culturel, une sorte de Bourse du travail et de logement, un bureau de renseignement pour l’obtention de papiers d’identité et de travail. Sous son égide, se créent une bibliothèque, un théâtre yiddish, une chorale, une section de jeunes, un club sportif, un dispensaire, un patronage, des colonies de vacances, une organisation de femmes, des sociétés de villes selon les origines des immigrés… Il s’agit de l’esquisse d’une contre-société couvrant toutes sortes de besoins.
Ces Juifs internationalistes participent aux luttes du mouvement ouvrier français auquel ils sont liés organiquement.
Ils sont partie prenante des combats antifascistes et très présents lors des grandes grèves de 1936 pour soutenir le Front populaire. Ils appuient la république espagnole et beaucoup s’engagent dans les Brigades internationales.
Ils soutiennent la culture yiddish et dénoncent les mesures contre les immigrés, l’antisémitisme en France et les persécutions anti-juives dans l’Allemagne hitlérienne.
Référence
Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, Juifs révolutionnaires, Paris, Messidor/Éditions Sociales
PRESSE CLANDESTINE
— Notre Parole : (traduction en français de Unzer Wort, Zone Nord), 4 numéros de juin 1941 à mars 1943.
— Notre Voix : (traduction en français de Unzer Wort, Zone Sud), 76 numéros de l’été 1942 à juillet 1944.
— Liberté, (organe de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE) devenu « Droit et Liberté ». 9 numéros de janvier à juillet 1944.
— En Avant (journal des jeunes communistes juifs), 6 numéros de début 1943 à juin 1943.
— Jeune Combat (publication plus tardive à l’initiative de l’UJRE : journal de l’Union de la jeunesse juive (UJJ), 1943, 1944.
— Bulletin de l’UFJ, la Voix de la Femme Juive, organe du mouvement national de lutte contre le fascisme, section féminine, 1943
— Résister (Bouches du Rhône, UJRE), 1944
À l’intérieur du camp de Pithiviers, publications communistes :
— Le Canard interné (Journal des jeunes internés), 1941,1942
— Pithiviers, 1942, polycopié en yiddish
À l’intérieur du camp de Beaune-la-Rolande
— Unzer Lager (Notre camp), mai 1941 à Juillet 1942
— Unzer Politique (Notre politique), 1942,1943
Autres publications
— Di yiddische Stime (la voix yiddish) : organe de la réunification nationale juive 1941
— Der yiddisher Arbeiter (le travailleur juif) : Intersyndicale lyonnaise (ronéoté en yiddish)
— Unzer Kampf (notre combat) : Comité général de défense juif (ronéoté en yiddish), 1943
Organisation de Résistance Le Travail Allemand
— Bulletins du Travail Allemand, TA
FFI
Le Combat juif (Forces Françaises de l’Intérieur, FFI, 1 seul numéro) 1944
Section juive de la M.O.I. en liaison avec le mouvement National contre le Racisme (MNCR)
— J’accuse : Zone Nord, 22 numéros d’octobre 1942 à août 1944
— Fraternité : Zone Sud, 26 numéros de l’été 1942 à août 1944
— Lumière (organe des intellectuels), 4 numéros du printemps à août 1944.
— Combat médical, 4 numéros de mars à août 1944.
— Clarté (journal des jeunes), 3 numéros à partir du début avril 1944.
MOUVEMENT NATIONAL CONTRE LE RACISME (MNCR)
Il faut cacher des enfants qui risquent la déportation, organiser des évasions et le passage des frontières, trouver des planques, fabriquer de faux papiers.
Le MNCR diffuse plusieurs journaux clandestins, dont les deux plus importants sont J’accuse en zone nord et Fraternité en zone sud. Il publie également des tracts et des brochures : par exemple, le numéro du 20 octobre 1942 de J’accuse qui évoque les assassinats de Juifs par un « nouveau gaz toxique » et Le Mensonge raciste. Ses origines, sa nature, ses méfaits, rédigé par le philosophe Vladimir Jankélévitch à Toulouse en 1943. Le MNCR développe des liens avec certains membres de l’Épiscopat et de la communauté protestante, qui permettent des actions de sauvetage comme celle de 63 enfants d’un foyer de l’UGIF à Paris, en février 1943.
En 1949, le MNCR devient le Mouvement Contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix (MRAP).
Référence
Adler Jacques, 1985, Face à la persécution. Les organisations juives à Paris de 1940 à 1941, Éditions Calmann-Lévy.